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défini par une phrase latine, et dix-sept lignes de soixante lettres chacune, qui dans nos traités d’algèbre feraient trente lignes, sont consacrées à l’énoncé du théorème, sans rien ajouter au résultat qui dans la langue algébrique remplit à peine la moitié d’une ligne, — et sans le démontrer, bien entendu.

Je n’ai pas choisi un cas d’exception. Les quatre-vingts grandes pages dédiées à la vicomtesse de Rohan, dans lesquelles Viète a fait pour la première fois usage des lettres pour désigner les quantités connues aussi bien que les inconnues, si on les traduisait dans la langue algébrique, sans en rien supprimer, et en acceptant les notations actuelles, pourraient se réduire à dix petites pages.

Dans ces écrits qui véritablement forment un traité d’algèbre, très admiré de ses contemporains, et que Huygens a étudiés avec profit, Viète rencontre et fait naître un grand nombre d’équations du second degré ; aucune d’elles ne l’embarrasse, assurément, et chacune est résolue avec élégance, mais cette élégance même nous choquerait aujourd’hui. La formule générale qui donne d’avance toutes les solutions n’est pas révélée au lecteur. Viète l’ignorai t-il ? Il est impossible de le croire, mais elle l’aurait gêné en le forçant à dire, ou que la formule est fausse, et alors pourquoi la donner ? ou, ce qu’il ne voulait aucunement accepter, que toute équation du second degré a deux racines, toujours deux, jamais plus, et jamais moins, comme nous l’affirmons aujourd’hui. Il faut, suivant Viète, les classer ; quelques-unes n’ont pas de racines, d’autres en ont une seule, dans certains cas il y en a deux.

Viète n’admet ni les racines négatives, ni les racines imaginaires. On ne doit pas lui reprocher de n’avoir pas fait, en les introduisant dans la science, une grande et importante découverte, mais on s’explique pourquoi les écrits de l’inventeur de l’algèbre n’ont plus pour ceux qui viennent trois siècles trop tard qu’un intérêt purement historique.

Ne nous persuadons pas, quoi qu’en ait dit Fourier, qu’il soit juste d’enlever à Descartes la gloire d’avoir inventé l’application de l’algèbre à la géométrie. La démonstration de Fourier est de forme irréprochable, mais au fond à peine spécieuse.

Viète, dit-il, a appliqué l’algèbre à la solution d’un grand nombre de problèmes de géométrie. Cela n’est pas contestable. Est-il possible alors d’attribuer à Descartes, né soixante ans après