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qu’importe le mobilier, qu’importe même la minutieuse et photographique ressemblance ?

Certes, on a raison de demander à l’artiste une attention soutenue, un labeur opiniâtre, une patiente recherche de l’attitude et de l’expression qui conviennent à son modèle, mais ne le fatigue-t-on pas souvent par des exigences qu’il ne peut satisfaire ou qu’il ne satisfait qu’au prix de l’esthétique beauté ? Ce n’est pas tout d’être belle pour avoir un beau portrait, et il vaudrait quelquefois tout autant qu’on ne le fût pas. Regardez la vieille femme de Rembrandt, posant ses lunettes sur sa Bible, ou encore les enfans de Frans Hals, ou même la femme de Rembrandt, Saskia : on a vu de plus jolis visages. Mais on ne voit pas tous les jours des images plus jolies, plus fortes, plus pénétrantes… Cela tient d’abord à ce que le peintre s’est lui-même pénétré de la physionomie de son modèle. Ce n’est pas à la languissante lumière de la Breedstraat que Rembrandt a vu cette Saskia et son fils Titus : c’est à la lumière chaude de son cœur. Remarquez comme les peintres ont rarement manqué de faire de beaux portraits quand ils ont peint leur famille : la Saskia de Rembrandt, l’Hélène Fourment de Rubens, la Pacheco de Velasquez, et comme, de nos jours encore, un de nos meilleurs maîtres fut mieux inspiré quand il a peint son fils, que lorsqu’il a représenté le vieux prince, assis sur un banc de parc, sous des feuillages à la Gainsborough, regardant s’écouler l’automne qui devait être le dernier de sa vie…

C’est ensuite qu’ils ne se sont pas astreints à un minutieux étalage des toilettes de leurs contemporaines. Ils ont fait des femmes et non des poupées. Léonard de Vinci recommandait aux portraitistes d’éviter le plus possible de peindre les modes de leur temps, fuggire il più que si puo gli abiti della sua età, et il avait raison. Lorsque les maîtres ont été forcés de les suivre par le caprice de leurs modèles, ils sont restés au-dessous d’eux-mêmes. Certes, c’est un bon portrait que celui de cette grande et grosse dame, en un petit cadre, attribué à l’école hollandaise, qu’on voit dans un coin de la salle du Van Dyck. Mais combien l’aspect en serait meilleur, si le peintre n’avait pas dépensé son talent à ces immenses manches ballonnées, à zones de crevés, et à cette fraise tuyautée, empesée, godronnée, horizontale, monstrueux carcan de fil d’archal, que Blaise de Viguière appelait déjà de son temps une meule de moulin et où la tête de la patiente semblait, dit Pierre de l’Estoile, « le chef de saint Jean-Baptiste en un plat ! »