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qui pèsent sur nos cœurs, il y a dans le monde civilisé un sentiment qui domine tous les autres, et qui, en de certains momens, a un besoin invincible de s’exprimer. L’écho nous en est venu d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie, aussi bien que de Russie et de partout. Les petits pays comme les grands ont pris part à notre affliction. Nos ambassades, nos légations, nos consulats même ont été l’objet d’un concours de condoléances dont nous sommes reconnaissans. Le concert européen, qu’on a tant de peine à établir ou à maintenir pour d’autres causes, se retrouve tout de suite, vibrant à l’unisson, lorsque l’humanité est en jeu. Il est vrai qu’il ne saurait y avoir ici d’intérêts divergens : tous peuvent se sentir menacés lorsqu’un seul est frappé. Il y a, dans les catastrophes de ce genre, quelque chose qui se rattache à l’éternelle fatalité qui plane sur le monde, et qu’aucune prévoyance, aucune précaution ne peut conjurer absolument… Et mentem mortalia tangunt.


Depuis notre dernière chronique, les événemens ont suivi en Orient leur cours normal : ils n’ont eu certainement rien d’imprévu pour nos lecteurs. Le dénouement lui-même n’a eu rien d’exceptionnel : tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’il s’est fait attendre plus longtemps que de raison. Et nous n’oserions pas prétendre qu’il soit complet et définitif ; il reste encore beaucoup d’obscurités dans la situation orientale ; l’avenir y est enveloppé de nuages. Quant au présent immédiat, la défaite des Grecs, irrémédiable dès les premiers échecs, et qui est aujourd’hui avouée, acceptée, officiellement reconnue, a rendu plus facile d’en discerner les principaux caractères.

L’Europe a fait ce qu’elle a pu contre la guerre ; mais on ne peut pas empêcher de se battre des gens qui y sont absolument déterminés. Tel était l’état d’esprit, ou de volonté, des Grecs. Les sages avis ne leur ont pas manqué. Pour notre très faible part, nous leur avons prodigué les nôtres ; nous n’avons pas été écoutés, et si nous ne disons pas que nous n’avons pas été entendus, c’est parce que nous avons reçu un nombre respectable de lettres dans lesquelles on nous reprochait, tantôt avec aigreur, tantôt avec véhémence, de trahir la cause de la civilisation et de la chrétienté. Fallait-il, pour manifester aux Grecs nos bons sentimens à leur égard, les suivre dans leur erreur, les encourager dans leur folie ? Est-ce donc faire preuve d’attachement éclairé envers une personne, ou envers une nation, que de la flatter dans ses caprices et de l’engager, ou de s’engager avec elle, dans les entreprises les plus inconsidérées ? Tel n’est pas notre sentiment. On a dit, et nous avons répété nous-même que la