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particulier à celle des jeunes princesses ses tantes, dont la conduite n’était pas sans reproches. Il fallait également la faire vivre d’une vie à part, en l’isolant des plaisirs auxquels, sinon son âge, du moins son rang l’appelait naturellement. On poussait la précaution jusqu’à ne point parler de ces plaisirs devant elle. « On tient la fiancée de M. le duc de Bourgogne fort enfermée, écrivait Madame : le Roi nous a défendu à tous de jamais nommer devant elle l’Opéra, l’appartement des jeux, la comédie ; la pauvre enfant me fait pitié[1]. » Il faut croire qu’à Turin même ce régime paraissait sévère à certaines personnes, car le comte de Govone, envoyé extraordinaire de Savoie à la Cour de Versailles, écrivait à son chef, le marquis de Saint-Thomas : « La retraite où Sa Majesté entend tenir Mme la duchesse de Bourgogne, en la faisant s’abstenir de l’Opéra, du bal et de la comédie, la fait plaindre par beaucoup de personnes qui ne savent pas que le sérieux de cette Cour est un continuel divertissement (il scrio di questa Corte è un continuo divertimento). Elle fréquentera également très peu Saint-Cloud, car le Roi sait qu’elle ne se satisfait pas avec la modération des divertissemens (non si sodisfa col moderato dei divertimenti)[2]. » Cependant, si l’on s’en rapporte au témoignage de Tessé, la duchesse de Savoie aurait, au contraire, témoigné toute la satisfaction qu’elle ressentait de l’éducation donnée à sa fille, et elle aurait exprimé l’intention de prendre exemple sur cette éducation pour terminer celle de la fille qui restait auprès d’elle. Voici, en effet, ce que, à ce sujet, Tessé écrivait au Roi : « Ce prince (le duc de Savoie) me fist lire une lettre de Mme de Maintenon à Mme la duchesse sa femme sur l’éducation de Mme la Princesse, et sur les mesures que l’on prend pour corriger les petits deffauts auxquels l’âge et l’inclination pourroient l’entraîner. C’est dommage que des lettres si remplies de sentimens, qui pourroient servir de règle à la vertu mesme, demeurent dans le petit particulier de deux ou trois personnes. Mme la duchesse Royalle que l’on peut quasiment en ce monde regarder comme un ange, ou du moins comme le modelle vivant de ce que les princesses doivent faire, en fait des maximes pour l’éducation de sa seconde fille, et l’honneur qu’elle me fait de m’en confier souvent la lecture, parce qu’elle connoît le respectueux et tendre attachement que je dois avoir pour Mme la

  1. Correspondance de Madame, duchesse d’Orléans, traduction Jaeglé, t. 1, p. 142.
  2. Archives de Turin. Lettere Ministri Francia, Govone à Saint-Thomas.