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d’opposer une résistance efficace à ces étrangers qui arrivaient couverts de bronze, armés de lances et d’épées dont la pointe perçait sans effort les boucliers de peau ou d’osier. Vaincus dans les premières rencontres, ils ne pouvaient compter sur les chances d’un retour offensif ; les Grecs, dès qu’ils avaient choisi le site de leur ville, l’entouraient d’une muraille de pierres, dont les assises réglées et la hauteur donnaient l’impression d’une barrière capable de délier toutes les attaques. Ceux des Sikèles qui ne voulurent pas quitter leurs vergers et leurs champs durent pouvoir les conserver, au prix de quelques redevances, dans la banlieue des cités helléniques. Les autres se replièrent dans l’intérieur, où ne manquaient pas les terres arables. Ils n’avaient pas à craindre d’y être poursuivis par les nouveaux venus. Les Grecs, soucieux de rester toujours en relations avec la mère patrie, ne concevaient pas de cité sans un port. On ne citerait guère qu’une seule colonie grecque, Akrai, qui se soit établie à une distance notable de la côte. L’exemple que Syracuse avait donné en fondant cette ville au cœur des montagnes d’où l’Anapos tire sa source ne trouva pas d’imitateurs.

Les Sikèles restèrent donc maîtres incontestés de tout le centre ; ils y vivaient, dans une pleine indépendance, sous leurs chefs locaux. Les écrivains grecs prononcent parfois le nom de ces petits princes ; mais, parmi eux, il n’en est qu’un qui mérite que l’histoire garde de lui quelque souvenir ; c’est ce Doukétios dont Diodore a raconté les entreprises. Diodore est né dans un vieux bourg des Sikèles, Agyrion ; peut-être a-t-il pris quelque plaisir à mettre en lumière la figure de l’homme énergique et ambitieux qui pouvait avoir été son ancêtre, du seul patriote qui ait rêvé de créer une nation sikèle[1].

Il est aisé de deviner quelles réflexions suggérèrent à Doukétios le projet qu’il forma. Répandus sur un très vaste espace, les Sikèles, à les prendre dans leur ensemble, devaient être plus nombreux dans l’île que tous les Grecs réunis. Les possessions des Grecs ne formaient, sur la côte, qu’une mince bordure qui était coupée sur bien des points, et particulièrement au nord, par des groupes compacts d’indigènes, Sicanes, Elymiens et Sikèles. Les cités grecques étaient d’ailleurs presque toujours en lutte les unes contre les autres ; Ioniens et Doriens se détestaient

  1. Diodore, XI et XII.