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tous les cimetières qu’il a fouillés, M. Orsi est arrivé, grâce à l’expérience qu’il avait acquise, à trouver quelques tombes vierges, dissimulées sous des éboulis qui en avaient masqué l’entrée.

Là où la tombe n’a pas été bouleversée et vidée, ce qui frappe, c’est le grand nombre de morts que l’on a réussi à loger dans des caveaux dont le diamètre n’atteint que par exception 3 mètres ou 3m, 50 et, d’ordinaire, se tient aux environs de 2 mètres. C’est par crânes que compte M. Orsi, et, dans ses journaux de fouilles, je relève souvent les chiffres 19, 21, 25, etc. ; il est même un caveau qui en contenait jusqu’à 49. A moins d’empiler les morts les uns sur les autres, on n’aurait pu les étendre couchés dans un si étroit espace. Si l’on en a tant mis dans une même chambre, c’est qu’ils y étaient déposés non pas à l’état de cadavres, mais à l’état de squelettes, de squelettes dépouillés de leurs chairs, pratique qui a été signalée chez diverses tribus sauvages de l’ancien et du nouveau monde. Ce rite, chez quelques-unes des peuplades qui en ont fourni des exemples, comportait de singuliers raffinemens : on peignait de couleurs vives les pièces principales du squelette et particulièrement les crânes. Or, dans la nécropole sicane ou sikèle de Capaci, près de Palerme, il a été recueilli des crânes sur lesquels on a relevé des traces très visibles de peinture. Ces traces, M. Orsi les a cherchées en vain sur les centaines de crânes qui lui ont passé par les mains, dans l’est de l’île ; mais, sans compter que les usages funéraires ont dû varier d’une tribu à l’autre, il faut noter que ces couleurs qui n’étaient pas, comme sur l’argile, fixées par la cuisson, n’ont pu se conserver que très rarement, dans telle grotte d’une siccité exceptionnelle. Quoi qu’il en soit, les observations qu’a faites M. Orsi, en cinq ans d’études, l’ont conduit à se former, sur ce point, une conviction très arrêtée : si ces tombes n’étaient pas de simples ossuaires, on ne s’expliquerait ni l’aspect qu’y présentent les squelettes, ni que l’on ait pu en entasser un si grand nombre dans des chambres si exiguës.

La disposition est à peu près partout la même. Les squelettes, ainsi désarticulés, étaient bien plus maniables que des corps rigides ; on les appuyait, les jambes repliées sous eux et comme accroupis, à la paroi. Ils étaient rangés en cercle tout autour du caveau. Sur le crâne ou tout près de lui, M. Orsi a presque toujours trouvé un couteau de silex. Etait-ce celui qui avait servi à