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mille brevets de tout genre, quand nous constatons seulement, sur les derniers relevés, 89 665 institutrices de toutes écoles, privées, publiques, laïques et congréganistes. Que sont devenus, et que deviennent les brevets qui manquent ? Affectons-en dix mille aux disparitions nécessaires, faisons la part de la mort et du déchet, et nous aurons encore à nous demander où sont passés les quinze ou vingt mille autres. Que peuvent bien aller faire les brevets supérieurs au Jardin de Paris, quand on manque de brevets élémentaires dans les écoles ?

Et ce n’est même pas là les seules explications qu’on ait envie de réclamer aux tableaux ministériels. Il existe encore, à l’heure qu’il est, 1 360 communes qui n’ont pas d’école de filles. Pourquoi ? Et la prétendue « pléthore » ? Ne serait-elle qu’une légende, au moins à certain point de vue ? On voit bien, en 1895, quatre mille aspirantes au brevet simple dans la Seine, mais on n’en découvre déjà plus que huit cents dans le Nord, cinq cents dans la Gironde, deux cent quatre-vingts dans les Bouches-du-Rhône, et l’on tombe ensuite à des départemens où leur chiffre n’atteint pas cent. Trente-neuf brevetées élémentaires pour toutes les Hautes-Alpes ! Cinquante et une pour l’Aube, trente-trois pour l’Ariège, trente et une pour le Tarn-et-Garonne, vingt-six pour la Haute-Marne, et d’autres relevés aussi brillans, dans nombre d’autres pays ! Beaucoup de fonctionnaires, quand on leur demande « où en sont les institutrices », hochent la tête, font la grimace, et vous répondent avec mystère : « Nous en avons trop… Nous décourageons le mouvement. » Est-il bien nécessaire de le décourager dans les départemens où l’enthousiasme scolaire se traduit par trente brevets simples, et six brevets supérieurs, pour deux cent mille habitans ? Que cachent donc exactement ces chiffres désillusionnans ? Comment une pareille disette d’institutrices dans tant de départemens, s’il y a tant d’institutrices à placer, et pourquoi tant d’institutrices non brevetées, quand toute institutrice doit l’être ? Faudrait-il voir là l’effet d’un esprit de secte et de favoritisme ? Tout vous serait-il accordé, même sans titres, quand vous n’allez pas à la messe, et tout vous serait-il refusé, malgré vos titres, quand vous y allez ? Est-ce, au contraire, que beaucoup de brevetées ne veulent pas avoir affaire à l’Etat, et préfèrent d’elles-mêmes l’enseignement privé ? Est-ce, encore, par hasard, qu’elles tournent parfois si mal, et tombent dans une morale si indépendante, que la République elle-même la juge trop libre, et