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véritable centauresse, et on la voyait toujours repasser, sévère, imperturbable, cramponnée à sa barre de fer, avec sa jupe volante, sa prestance solennelle, sa barbe, et le coin brodé de son bas de soie, dans le tournoiement des chevaux, le claquement des drapeaux et les vociférations de l’orgue. Elle avait même là si grand air, tant de componction et tant d’autorité, qu’elle semblait y prendre un plaisir élevé… Etait-ce bien vraiment l’institutrice ?… Je voulus encore m’informer, mais on ne m’avait pas trompé. Le chef-lieu de canton avait une école laïque de filles, toute neuve, superbement bâtie, et c’était bien madame la directrice.

Dire que, parmi les trente ou trente-cinq mille institutrices communales de France, il y en a de méritantes, est presque superflu, et quelques-unes même sont admirables. Envoyées dans de méchans pays, de mauvais quartiers, au milieu d’exaspérantes ou terribles difficultés, et souvent chargées de famille, avec de vieux parens à soigner, des enfans à élever, elles ont encore la vertu d’aimer les enfans des autres, et la science de se les attacher. Mais on confie aussi quelquefois les écoles aux éducatrices les plus étranges, et dont l’étrangeté, d’ailleurs, n’excède pas celle de certaines bibliothèques scolaires où figurent les ouvrages les plus grossièrement incendiaires ou scandaleux. La « Marianne », dans ces écoles-là, n’est plus une simple garniture de cheminée, mais un symbole efficace, avec tout ce qu’il peut comporter. Elle est incarnée dans la directrice même de la maison, la pétroleuse et la virago municipale, ou quasi municipale, à laquelle on ne craint pas de livrer des enfans.

Il s’était fondé à Paris, il y a une quinzaine d’années, dans le premier feu de la laïcisation, une société composée de francs-maçons militans et de conseillers municipaux, dite Société des Ecoles Libres Laïques. Ces écoles, sans avoir un caractère ouvertement communal, n’en étaient pas moins autorisées par la Ville, patronnées par la municipalité, et le simple exposé de leurs règlemens suffisait déjà à vous édifier. On y donnait congé aux petites filles le jour de l’exécution de Louis XVI, et la directrice avait ordre de leur adresser des instructions exaltantes sur tous les événemens similaires. De fondation, on ne laissait jamais passer l’anniversaire d’une guillotinade célèbre sans en faire une fête pour les élèves. En histoire, en littérature, il était interdit de prononcer le mot de « Dieu », on le remplaçait par le mot de « Nature » ; et la « Trêve de Dieu » par exemple, dans cet enseignement extraordinaire, donné par des institutrices souvent extraordinaires elles-mêmes, devenait la