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lumière que sont attirés d’ordinaire MM. J.-P. Laurens, Detaille, Benjamin-Constant, praticiens plus virils et plus résolus, dont la vision est plus simple, la touche plus franche et plus nette, parfois même, chez les deux premiers, franche jusqu’à la rudesse et nette jusqu’à la sécheresse. Rudesse et sécheresse, c’est ce que des yeux accoutumés aux mollesses fondantes du paysage décoratif ou aux colorations joyeuses du paysage réel tel qu’on l’a compris en ces derniers temps, s’étonnent d’abord de trouver dans cette immense vue panoramique d’un coin du Lauragnais destinée par M. J.-P. Laurens à la salle du Capitole à Toulouse. Le peintre des Mérovingiens et des Albigeois a mis à détailler l’âpreté du paysage natal, avec la dureté de ses lignes rigides et de ses tons de cendre ou de sang dans les terrains brûlés, sous la brutalité de la lumière, toute l’énergie rigoureuse qu’il apporte dans ses restitutions historiques. Même conscience, même austérité, même indifférence pour le charme, même force aussi de caractère et d’exactitude qui s’impose par la fermeté implacable de l’exécution. Les laboureurs encapuchonnés qui, sur les premiers plans, poussent, avec une lenteur triste, leurs couples de grands bœufs dans la longueur monotone des sillons silencieux, sont des rustres du moyen âge. Le paysage aussi, avec ses partis pris naïfs et énergiques de plans superposés et de divisions régulières comme les sections d’un plan cadastral, et ses minutieuses exactitudes du détail végétal, est un paysage du moyen âge, une miniature agrandie avec tout le charme sain de cette maladresse émue et honnête que nous admirons chez les Van Eyck, les Limbourg, les Fouquet. Il est clair que M. J.-P. Laurens l’a voulu ainsi, car nous n’avons qu’à regarder le Portrait de son fils Pierre, par le même artiste, pour savoir combien sa facture, à l’occasion, peut devenir souple, brillante, libre, joyeuse. Ce jeune homme, au teint frais, aux yeux vifs, en vareuse grise, les jambes croisées, est un morceau remarquablement enlevé, avec une virtuosité franche et heureuse, qui est celle d’un bon naturaliste et non seulement celle d’un dilettante bien informé.

Combien cette virtuosité est moins étourdissante, mais combien elle est plus saine, plus féconde, moins dangereuse, que cette virtuosité littérale et quasi pédantesque dans laquelle s’enferme M. Roybet ! L’extraordinaire habileté de M. Roybet est hors de cause ; on peut même ajouter qu’en un temps où le métier est si fort négligé, il nous a rendu grand service en prouvant, par