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elle, qu’elle appartient, de toutes façons, à un art diamétralement opposé à celui de Frédégonde. C’est une comédie qui a grand souci d’être vraie ; curieuse par le sujet, et d’une assez fine recherche d’exécution.

Les dégénérés, ce sont les vicieux mondains d’aujourd’hui. Chercheurs de sensations égoïstes, nihilistes avec bravade et avec des prétentions à la perversité, ce sont, dans le fond, des brutes toutes primitives, des singes et des guenons « du pays de Nod », mais recouverts d’un petit vernis de « cérébralité » (comme ils disent dans leur langue affreuse), affaiblis par un dilettantisme d’ailleurs banal, par une certaine capacité de s’analyser eux-mêmes, et aussi par la mauvaise qualité de leur estomac. Leur vice a pour caractéristique l’inquiétude, l’instabilité, le manque d’énergie et de volonté, l’impossibilité d’aller jusqu’au bout de leurs mauvais instincts. Ce sont des gens qui n’achèvent pas.

La pièce de M. Provins nous fait assister aux inachèvemens de quelques-uns de ces énervés : c’est le banquier Livaray et sa femme Jeanne : Mme de Girolles, l’amie de Jeanne ; le politicien Chambard, et le moraliste de salon Barral, qui passe son temps à définir les dégénérés, dégénéré lui-même.

Jeanne, étant jeune fille, a été la demi-maîtresse de Chambard. Elle lui a promis d’« achever » plus tard, quand elle serait mariée. Elle a épousé Livaray, et Chambard vient alors réclamer d’elle le reste de ses faveurs. Mais elle refuse : cela ne lui dit plus rien ; et Chambard lui-même semble n’insister que par amour-propre. Et néanmoins, tout en discutant, elle se laisse quelque peu aller aux bras de son demi-amant. Mme de Girolles les surprend dans cette minute de demi-abandon. Elle dit à Jeanne : « Chambard est, par hasard, mon amant total. Je ne tenais pas beaucoup à lui, mais j’y tiens à présent et je le garde ; et, comme cela m’amuse d’être méchante, je te préviens que jeté jouerai les tours les plus abominables. » Et Jeanne répond : « C’est comme moi : je ne tenais pas non plus à Chambard. Ce qu’il me proposait me paraissait manquer de piment. Ce piment, tu me l’apportes et je t’en remercie. »

Toutes deux se vantent. Leur perversité manque d’haleine. Sans doute Mme de Girolles fera son possible pour déployer une belle méchanceté féminine, comme il sied, croit-elle, à une détraquée et à une morphinomane de sa distinction ; elle ira jusqu’à dénoncer à Livaray un rendez-vous de sa femme avec Chambard. Mais, comme il n’en sortira rien du tout, elle lâchera subitement son amant, dont elle