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plus folle. Pour la satisfaire, elle a joué cinq ou six fois ses destinées dans des révolutions ; et voilà qu’après un siècle de souffrances et de luttes, elle semble toucher à la victoire. Cette victoire n’est pas complète ; mais elle est assez grande pour rendre toute retraite impossible. Le vieil organisme détruit, il faut, à tout prix, achever le nouveau ou périr.

L’heure présente est une heure douloureuse. Les hardis piétons qui tentent une ascension périlleuse en connaissent les angoisses. Ils croient, après d’épuisantes fatigues, toucher au sommet ; plus ils montent, plus il semble se dérober ; à mesure qu’ils s’élèvent, les murailles de rocher se dressent plus hautes ; les crevasses s’ouvrent plus béantes. Si leurs pieds glissaient, si leurs têtes tournaient, c’en serait fait d’eux. Retourner est plus dangereux encore qu’avancer. Les ponts de glace où ils ont passé sont écroulés ; les pierres où ils se sont appuyés ont roulé dans l’abîme. Coûte que coûte, il faut aller de l’avant. Un suprême effort peut seul les arracher à un suprême péril. C’est ce suprême effort que la démocratie tente en ce moment. Si elle échoue, le césarisme la guette pour la recueillir, honteuse et désarmée. Après tant de combats, un aveu d’impuissance serait son arrêt de mort. Le jour où elle laissera tomber entre les mains d’un maître les rênes que les siennes n’auront pas su retenir, elle sera perdue. Il ne lui restera qu’à consumer, dans le dégoût d’elle-même, le peu de vie qui l’animera encore.

Le césarisme n’a qu’une devise : « avilir pour régner ». Ce n’est pas un refuge où les nations fatiguées viennent reprendre haleine ; c’est le linceul dont s’enveloppent les nations, mûres pour la mort. Il ne manque pas de prophètes pour annoncer qu’il est l’aboutissant nécessaire et prochain de la démocratie ; et, à l’appui de leur dogmatisme tranchant, ils ne cessent d’invoquer l’exemple de Rome, finissant dans les bras des Césars. « L’exemple de Rome » est le plus banal et le plus fatigant des lieux communs. La France a-t-elle à ses flancs ces deux plaies : le paganisme, l’esclavage ? Où est sa plèbe, oisive et pauvre ? Où sont ses ilotes, rivés par la misère plus encore que par la force aux immenses domaines des patriciens ? Où sont ses légions, campées en armes dans ses provinces, et toujours prêtes à élever leurs chefs sur le pavois ? Ces parallèles historiques sont de merveilleux thèmes à déclamation, mais de pitoyables argumens. La démocratie de notre pays a ses ignorances, ses entraînemens, ses passions ; mais elle