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verrions encore mieux les effets de la répartition. Entre l’estime, le respect, la vénération, on n’aperçoit nulle gradation imposée par l’étymologie. Il a fallu des esprits précis et clairs, une société ordonnée et soucieuse des rangs, pour établir certaines distinctions : est-ce une raison pour les mettre en dehors de l’histoire du langage ? Nous savons peu de chose sur la création du langage : mais la répartition en est le véritable démiurge. Elle a été cette seconde création, cette melior Natura dont parle Ovide en retraçant les âges successifs du monde.

Cependant la répartition, comme toutes les lois que nous passons en revue, a ses limites.

Il faut d’abord, — cela est trop clair, — qu’elle trouve une matière où se prendre. Comme elle ne crée pas, mais s’attache à ce qui est pour en tirer parti et le perfectionner, il faut que les termes à différencier existent dans la langue. Nous pourrions citer certaines confusions dont, faute d’un mot, même les idiomes les plus parfaits n’ont jamais réussi à se débarrasser.

Inversement, l’esprit ne parvient pas toujours à féconder toutes les richesses que le langage vient lui offrir. Le mécanisme grammatical, par la combinaison des élémens existans, peut produire une telle quantité de formes que l’intelligence en soit embarrassée. George Curtius a compté que le nombre des formes personnelles du verbe grec s’élève à 268, nombre considérable, quoique bien inférieur encore à celui du verbe sanscrit, qui va jusqu’à 891. Mais la répartition n’a pu tirer parti de cette abondance : c’est beaucoup déjà que le grec ait su différencier ses quatre prétérits (imparfait, aoriste, parfait, plus-que-parfait). Entre le futur premier et le futur second, entre le parfait premier et le parfait second, l’observation la plus attentive n’a pu constater aucune différence sémantique. Outre cette surproduction de temps, nous avons une surproduction de verbes. Si nous prenons, par exemple, la racine φυγ, « fuir », nous avons à côté de φεύγω un verbe φυγγάνω, qui a le même sens. À côté de φημί on a φάσϰω. À côté de πίμπλημι, on a πλήθω. Le seul verbe signifiant « étendre » est représenté par τείνω, τιταίνω et τανύω. Nous avons ϐαίνω, ϐιβημι, et ϐάσϰω, qui signifient tous trois « marcher ». L’extinction des formes inutiles vient heureusement diminuer le poids de ce capital mort.

Une autre limite au principe de répartition vient du degré plus ou moins avancé de civilisation. Il y a des nuances qui ne