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Dressons-en maintenant le bilan moral et le bilan matériel. Le premier est à lui seul la condamnation du système. Que l’on songe à la perturbation jetée dans l’industrie privée, au nombre d’entreprises arrêtées du jour au lendemain, à la quantité d’ouvriers privés de travail, et qu’on oppose à cette libre industrie, ainsi détruite par un vote du Parlement, la pesante organisation administrative qui y a été substituée, avec son cortège de fonctionnaires et sa complication de formalités. Est-ce là le progrès ? N’y a-t-il pas quelque chose d’absurde à penser que l’Etat, c’est-à-dire l’expression suprême de la volonté populaire, la synthèse de toutes les énergies morales et matérielles du pays, se met en mouvement pour fabriquer ces petites brindilles de bois, qui nous servent à allumer notre cigare ou le feu de notre cheminée ? Pourquoi dès lors ne nous approvisionnerait-il pas de mille autres objets, qu’il est aussi apte à mal fabriquer ? Un inconvénient des plus graves, qui est résulté de l’installation de ce monopole, a été la destruction complète de notre commerce d’exportation d’allumettes, qui s’élevait déjà à huit millions de francs sous le régime de la liberté. Ce chiffre aurait pu croître considérablement et représenter aujourd’hui une valeur supérieure même à celle de la consommation intérieure.

Quant au résultat matériel, il est plus difficile à analyser, à cause de la façon dont nos budgets sont établis. A celui de 1897, par exemple, nous voyons figurer, aux évaluations des recettes du chapitre des produits de monopoles et exploitations industrielles de l’Etat, vingt-sept millions du chef des allumettes. Mais il est malaisé de retrouver au compte des dépenses toutes celles qu’il faut additionner pour en faire le total. Si nous ouvrions, comme en Prusse, des comptes spéciaux à chaque exploitation domaniale, nous serions promptement renseignés ; la simple lecture du bilan et d’un compte de profits et pertes nous édifierait. Nous ne savons quelle part il est juste d’imputer au compte allumettes dans les dépenses générales du ministère des finances, où certains fonctionnaires consacrent une partie de leur temps à la gestion de ce monopole. Nous ignorons ce qu’il faut prélever dans les dépenses du personnel de l’administration des contributions indirectes, chargé de la surveillance des entrepositaires et de la répression de la fraude en général. Un industriel déduit chaque année de ses bénéfices une somme qu’il applique à la dépréciation de ses immeubles et de ses machines, si bien qu’au jour où une dépense