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néfaste de socialisme, c’est-à-dire d’intervention de plus en plus complète de l’Etat dans les affaires et la vie des particuliers. La discussion récente de la loi sur les sucres à la Chambre a été à cet égard tristement instructive. Peu s’en faut que bientôt le Parlement ne fasse apporter à sa barre les livres de comptes des négocians ou des industriels, afin d’examiner s’ils réalisent trop ou trop peu de bénéfices. Persuadé qu’il peut tout, excepté, comme disait un Anglais en parlant de la Chambre des communes, changer un homme en femme, le Palais-Bourbon veut faire régner la justice et l’égalité en France en réglementant l’activité de chaque citoyen. Sous ce rapport, le monopole de l’alcool flatte les instincts secrets de plus d’un député, qui y voit un moyen de transformer les fabricans et les marchands d’aujourd’hui en employés et vérificateurs de la régie, pourvus d’un traitement modeste, mais fixe, et assurés d’une retraite pour leurs vieux jours. N’est-ce pas là en effet la Salente économique, la terre promise, que nos réformateurs nous montrent comme but et prix de nos efforts ? Malheureusement nous ne sommes pas seuls dans le monde ; et si nous voulons y garder notre rang, ce n’est pas avec des industries et des commerces d’État que nous y réussirons. Le monopole est de sa nature destructeur de toute initiative, ennemi de tout progrès ; il porte en lui des germes de mort : les exemples cités par nous et empruntés à notre propre pays l’ont prouvé. Instituer celui de l’alcool serait porter un coup fatal à notre vie économique. Si notre insatiable budget a besoin de nouveaux millions, qu’on augmente le droit actuel sur les spiritueux. Que, par des mesures énergiques, on réprime la fraude, mais qu’on n’ajoute pas une oppression de plus à celles dont nous souffrons déjà. Qu’on n’étende pas à un domaine nouveau la tyrannie fiscale qui pèse déjà si lourdement sur nous. Nous invoquons sans cesse le progrès, la liberté : ne travaillons pas à retarder l’un en détruisant l’autre.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.