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qui donnent le ton : et cela est fâcheux. Les gentilshommes ne sont ici que pour écouter et regarder : ils viennent voir, par manière de curiosité, des gens de lettres groupés en bouquet. Ce rôle de spectateurs est bien celui où les relègue un Morellet : « Les gens du monde… sentent trop bien le vide des conversations communes pour ne pas rechercher avec quelque empressement la société des hommes à talens et des gens de lettres qui, ayant fait de la culture des arts ou des sciences l’occupation de leur vie, ont nécessairement un plus grand fonds d’idées et des principes de goût plus assurés… La maison de Mme Geoffrin leur offrait cette sorte de plaisir. » Et voilà, dans toute sa sottise, l’infatuation de l’homme de lettres tel que le XVIIIe siècle nous l’a fait, tel que le XIXe nous le conservera. A de certains jours, on donnée des représentations. « Il n’arrivait d’aucun pays ni prince, ni ministre, ni hommes ou femmes de nom qui, en allant voir Mme Geoffrin, n’eussent l’ambition d’être invités à l’un de nos dîners et ne se fissent un grand plaisir de nous voir réunis à table. C’était singulièrement ces jours-là que Mme Geoffrin déployait tous les charmes de son esprit et nous disait : Soyons aimables[1]. » C’est une troupe avec un imprésario.

Et c’est une coterie. Une coterie est d’abord une association en vue de l’admiration mutuelle et de la congratulation réciproque. Aux complimens dont Mme Geoffrin régale la vanité de ses hôtes, ceux-ci ripostent par des louanges dont il semble que l’outrance aurait dû gâter la saveur. Marmontel, voulant expliquer « l’enthousiasme universel » que soulève le voyage en Pologne, loue Mme Geoffrin de son goût pour les lettres et les arts, des agrémens qu’elle répand dans la société, et il ajoute : « Votre âme seule vous a rendue célèbre et respectable aux nations. Son activité bienfaisante, sa sensibilité, sa droiture, le sentiment délicat dont elle est douée pour saisir en toutes choses le vrai, le juste et l’honnête, voilà ce qu’on chérit, ce qu’on révère en vous. Les souverains ne se disputent les avantages de vous avoir pour amie, que parce qu’ils trouvent en vous la vertu et la vérité ornées des grâces de la nature. » Une autre se fût divertie de ce pathos : Mme Geoffrin remercia de la « lettre charmante. » Quand il s’agit de flatterie, c’est toujours à Voltaire que reste la palme. « Votre voyage, dit-il simplement, doit être en France une grande époque pour tous ceux qui pensent. » C’est la trouvaille du génie. — Le second trait où se reconnaît l’esprit de coterie est son intolérance. Un certain abbé de Guasco publie des lettres familières de Montesquieu qui contiennent

  1. Marmontel, Mémoires.