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conditions du voyage. Ablou, mon majordome, mon homme de confiance, est le chef des autres domestiques, qu’il m’a fournis d’ailleurs. Cette espèce de forban, grand shikari devant Allah, ce qui veut dire chasseur, un titre qui le classe assez haut dans l’échelle des castes, prend avec moi des mines d’ours apprivoisé. Il daigne me nouer et dénouer mes tchaplies, la chaussure indigène, et paraît avoir grand’peur de me casser les pieds. Il me sert à table et commande tout le service, traite avec les lambardars, chefs de villages, pour avoir les porteurs et les poneys de charge, ou tatous, s’il y en a, pour le nombre de jours nécessaires. Ablimir est mon cuisinier, turban à carreaux bleus et blancs sur la tête ; il me varie le mouton avec tout l’art dont il est capable. Subana, qui est le domestique des deux autres, m’accompagne avec le petit panier du déjeuner, hasiri-tokri, et le paquet de châles ou de fourrure, selon la température. Il doit aller quérir l’eau pour le déjeuner, et m’aider à marcher en cas de difficultés. Le quatrième, Subamalik, fait office de saïs, il tient mon cheval dès que je descends, et me l’amène au camp devant ma tente, avec sa musette pour que je surveille la nourriture de mon brave tatou. C’est le domestique de Subana. Tous ensemble plantent les tentes et requièrent les coolies, porteurs et conducteurs de chevaux, pour les y aider, plus le peuple du hameau, s’il y en a, femmes et hommes. Ceux-ci balayent la place de ma tente avec une branche d’arbre, enlèvent les pierres, aplanissent le sol, vont chercher plus ou moins loin les grosses pierres qui maintiennent les crochets de la tente, apportent le bois et l’eau et nettoient les casseroles. Ils sont les serviteurs de mes gens. En ce pays, un petit trouve toujours un plus petit pour le servir.

Le service des postes est très bien organisé entre Srinagar et Leh : les quinze jours de marche de caravane sont faits en cinq jours, par des piétons qui vont toujours courant, nuit et jour, le sac de dépêches au dos, le bâton à pique garni de grelots toujours sonnant, pour éloigner les fauves et les serpens, tout comme aux Indes. Ils sont relayés tous les cinq milles (un peu moins de deux lieues). Les maisons et les huttes de poste sont souvent des niches de pierres sèches et de branchages, des abris creusés dans la neige pour échanger les dépêches. Entre Sonamarget Baltal, une vraie maison, plus importante, exhalait une telle odeur de putréfaction que mon tatou, si doux d’ordinaire, se défendait et refusait de passer. Des gens vivaient là dedans, d’autres causaient assis devant la