Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est l’Asie Centrale qui s’avance à l’époque des caravanes dans ce Thibet anglais avec ses mœurs, ses jeux, ses costumes, et sa dépravation.

L’Islam gagne beaucoup en Asie, le Thibet lui-même est attaqué : tout le Baltistan autrefois bouddhiste est maintenant à Mahomet ; et une colonie de Baltis est venue s’installer à Shushot, le village que j’aperçois dans la vallée entre Leh et la grande lamaserie dTiimis, apportant la mosquée et la polygamie à côté de la polyandrie. Les Ladaki sont honnêtes et travailleurs ; le climat froid et les hautes altitudes sont favorables à la vertu, et ces ménages polyandriques vivent dans l’honnêteté à leur point de vue. Telle femme a les deux ou trois frères, dont le dernier est peut-être un enfant ; elle a, en plus, un époux de choix, quelquefois deux, qui font partie de la famille ; la terre ne sera pas divisée, elle restera à l’aîné des enfans qui la partagera avec les frères de la communauté, ce qui formera un nouveau ménage.

Le lendemain de la Tamasha c’est le Durbar du capitaine Trenche, grande réception des notables de Ladak et des étrangers : capitaine chinois, dame française, marchands de Yarkand, de Kaschgar et Turki (du Turkestan). Les deux Commissioners Joints, le capitaine Trenche et le Wazir gouverneur de Leh, sont assis sur deux fauteuils. La Française et un officier anglais, ami du capitaine, sont auprès d’eux. L’héritier des anciens rois de Ladak, le Rajah, est le premier en retour près de moi, et le premier il a été appelé à faire le salam au Résident dans la présentation faite par le Wazir. Le Rajah lui a remis une écharpe de soie blanche, le Khata, qui m’a été gracieusement offerte. C’est le symbole de bienvenue et d’honneur, accompagnement obligé de tout présent et de toute demande. Je me suis amusée du défilé, des costumes, des types ; et l’ancien roi n’était pas la figure la moins originale. Il portait une robe de brocart grenat, une grande écharpe de soie rouge tombant du cou, une toque tissée d’argent et de belles bottes brodées. Tous venaient toucher la main du fonctionnaire anglais avec une ou deux roupies dans leur main, c’est comme un signe d’obéissance, pour dire : Tout ce que j’ai est à vous. Le Commissioner pose à peine le bout des doigts sur les pièces avec un joli geste de bénisseur.

C’est avec le jeune Commissioner, avec le Wazir, le capitaine anglais ami du Commissioner et M. Dauvergne, mon précieux et aimable protecteur, que je me rends à la lamaserie