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Nous quittons le fond de la vallée et nous avançons vers une gorge sauvage aux parois escarpées et dénudées, de tous les tons, du jaune au roux, dans une illumination splendide. Les contreforts semblent venir au-devant comme des rideaux, masquant le fond de la gorge, et tout à coup Himis apparaît, fantastiquement accroché aux parois à pic, les maisons les unes sur les autres, c’est l’immense Gompa, un des plus célèbres après celui de Lassa. Toutes les musiques jouent ; la population des pèlerins sur les murs, les terrasses, les toits ; les femmes par groupes ; manteaux, bijoux, coiffures, lamas en ligne, une oasis, des arbres au fond du val ; nos tentes dressées sur l’autre rive dans la verdure en face de cet extraordinaire Himis, tout cela compose un tableau d’une intensité de vie et de couleur inoubliable.


IV

La fête commence à midi. C’est une féerie en deux journées que l’on célèbre pour l’anniversaire de l’incarnation du premier Grand-Lama de Lassa. Cette fête se célèbre à une date fixe selon le calendrier thibétain. Les lamas et les nonnes de Lassa y viennent en un voyage de trois mois se mêler à leurs frères du Thibet occidental : c’est un contre d’intrigues entre les sujets bouddhistes du Maharajah et les prêtres de Lassa, qui ne peut être vu de bon œil par les autorités kashmiri. Tout au Ladak vient de Lassa, c’est la capitale de ce monde bouddhiste. Nous arrivons au Gompa, toujours entourés de notre état-major, le Wazir, le Cardar et tous les plus notables turbans. On nous mène par une haute terrasse sur une galerie intérieure dominant à l’ombre l’enceinte quadrangulaire et irrégulière, tandis que le soleil illumine te spectacle et la foule en cinq ou six étages placée en face de nous.

Les groupes semblent disposés par mêmes teintes : les lamas réunis sur les marches et les terrasses du Gompa, les bras nus, les têtes à peu près rasées, le type vulgaire et souvent bestial, forment une tache rouge et chaude. A côté sont les laines blanches des pèlerins ladakis, les étoffes amarantes de Lassa, un groupe de femmes aux robes rayées, un autre en manteaux de pourpre : ailleurs on ne voit que le bleu des turquoises et les bijoux étincelant dans la lumière. Les femmes du Rajah sont dissimulées sur un balcon fermé d’étoffes ; en qualité de princesses, elles ne