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événement grave dont nous ne saurions comprendre la portée. Et pendant que ces scènes confuses et bizarres se déroulent en ces deux longues journées, prières, offrandes, adorations sur des crescendo et des diminuendo qui paraissent sortir des centres infernaux, deux lamas, le masque relevé en topi (chapeau), jouent le rôle des comiques du drame et se livrent à toutes les facéties connues des clowns de nos cirques, faisant en même temps la police du public avec leurs innocens maillets de laine. La seconde journée finit par une arlequinade de maître d’école et d’écoliers malins qui, après mille folies, forcent la tête chocolat de leur maître de se prosterner et de baiser la terre devant la grande image suspendue du Grand-Lama : et cela aux rires de tous les spectateurs qui ont assisté si gravement à toutes les bizarreries de la fonction. C’est comme une dérision de leurs adorations, de cet acte que le peuple a accompli si sérieusement en arrivant et qu’il va recommencer, si nombreux, rangé en cercle, les mains jointes et prosterné, tandis que les machinistes descendront et enrouleront la grande soie qui représente le Grand-Lama.

Les lamas sont d’une ignorance extrême, ils ne connaissent la raison et le sens d’aucun de leurs exercices et de leurs nombreux accessoires ; ce n’est pas mauvaise volonté à répondre aux questions, c’est incapacité : il est écrit qu’il faut user de ces objets pour prier et ils n’en savent pas davantage. Il semble cependant que les danses des morts et des diables qui tiennent la plus grande part dans ces danses fantastiques et ces chants macabres doivent s’expliquer par la croyance que les âmes des morts sont entourées après le trépas de démons qui, sous les plus terribles formes, essaient de les détourner de la voie qu’elles doivent parcourir pour parvenir aux sphères supérieures. Alors les pauvres morts errent en détresse et les lamas veulent à la fois les délivrer par leurs incantations et habituer les humains à la vue et au bruit de ces terribles diables, prenant leurs masques, imitant leurs grotesques gambades, afin que les âmes ne soient plus troublées quand viendra l’heure de ces apparitions.

De hauts mâts au milieu de l’arène, sur les toits, dans le temple et partout, supportent les triples parasols, souvent aux trois couleurs figurant, comme dans le brahmanisme, une sorte de trinité, la puissance créatrice, protectrice et destructive. De longues oriflammes de plusieurs mètres, surchargées de caractères, flottent aux plus hauts mâts, et ces prières agitées par le