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facéties ne sont point goûtées ; il s’arme, pour le chasser, d’un énorme balai. « C’est un homme tout à fait extraordinaire, écrit l’électrice-mère. Il est impossible de le décrire et même de s’en faire une idée, avant de l’avoir vu. » Mais elle convient que les quatre heures du souper ne lui ont point paru longues, qu’elle ne s’est pas ennuyée un instant. Sophie-Charlotte, rendant compte de ses impressions au ministre d’État Fuchs, termine sa lettre par cette phrase inachevée : « En voilà assez pour vous lasser, mais je ne saurais qu’y faire ; j’aime à parler du tsar, et si je m’en croyais, je vous dirais plus que… Je reste bien affectionnée à vous servir. » Il semble qu’en présence de ce sauvage, qui se donnait parfois la peine d’être aimable, il se fût passé dans le cœur de la jeune électrice quelque chose qu’elle ne pouvait dire.

Plus souvent farouche que grotesque, s’il a sauvé ses ridicules par la grandeur de ses desseins, il a racheté ses violences par l’héroïsme d’une volonté qui s’imposait des efforts et des sacrifices au-dessus de la vertu commune, et s’il a voulu qu’on se donnât, il s’est donné tout entier. Pour avoir raison de son peuple, il emploiera le bâton, le fouet et la hache, et n’ayant pu réduire son fils à l’obéissance, il le tuera. Mais il ne lui suffit pas qu’on obéisse, il veut qu’on travaille, qu’une race indolente, « comme figée dans un hiver ou endormie dans un rêve éternel, » apprenne à se remuer, à se secouer, et cette fois aux moyens violens il en joindra de plus humains, qui sont quelquefois plus décisifs. Il a cru, et c’est sa gloire, à l’efficacité souveraine de la propagande par l’exemple, quand l’exemple vient de haut, et pour tirer ses Russes de leur torpeur, il a condamné leur souverain à être le plus prodigieux travailleur que l’histoire ait connu. « Il est toujours pressé ; en voiture, il va au galop ; à pied, il ne marche pas, il court. » Il est en Finlande, il est dans l’Oural, en Poméranie, en Ukraine ; il conduit les opérations d’un siège, il visite des forêts, il inspecte des mines, il élève des moutons, et pas un instant il n’oublie son devoir de législateur : il publie chaque jour un ukase, quelquefois deux.

Le Polonais avait passé la plume à l’historien quand M. Waliszewski a appliqué à Pierre le Grand le beau mot de Shakspeare : « The souls joy lies in doing : la joie de l’âme est dans l’action. » « Le plus grand poète du Nord, dit-il, a deviné le héros de la grande épopée dont j’essaye d’évoquer l’image. Oui, ç’a été sa force, sa grandeur et son succès, cette énergie vitale qui a fait de lui, physiquement et moralement, l’homme le plus remuant, le plus dur à la fatigue, le plus sensible à la joie de l’action qu’on ait vu sur la terre. » Dans ses courtes heures de loisir, son divertissement préféré est encore et toujours le travail. Il