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jusqu’au bout de sa philosophie et de sa miséricorde indépendante.

C’est peut-être qu’il y a une contradiction secrète entre l’institution du mariage, telle qu’elle nous a été transmise, et notre esprit ou nos mœurs. Le mariage moderne est, par ses origines, une institution plus chrétienne encore que sociale. (Chez les Romains, où il n’était en effet qu’une institution sociale, il admettait légalement la forme plus libre du « concubinage ».) Or il se pourrait que nos contemporains fussent des chrétiens de plus en plus faibles, et aussi qu’ils trouvassent leur compte à être de moins en moins convaincus de leur libre arbitre. Ce qu’on redoute dans l’ancien mariage indissoluble, c’est l’engagement pour la vie, et c’est finalement le sacrifice. Il faut se lier soi-même et « répondre de soi ». Évidemment, cela est gênant ; les uns disent que c’est inutile, et les autres que c’est même impossible. Voilà pourquoi la conception du mariage semble subir, comme on dit, une crise.

Ma conscience m’oblige à dire que Rosine n’est point parfaite. La composition en est peu serrée, et les scènes, parfois, se suivent plutôt qu’elles ne s’enchaînent. Mais les personnages vivent, même les moindres : 1e digne notaire Pagelet, la dure paysanne, belle-sœur de Rosine, et sa petite cousine Louison, et la sœur du bonhomme Desclos. Le dialogue est du plus franc naturel. On disait de Regnard qu’il n’était pas médiocrement gai : M. Capus n’est pas médiocrement vrai, ce qui ne veut pas dire qu’il soit triste, mais plutôt optimiste à sa façon, paisible et sain, avec une pointe d’ironie défensive. — La pièce est bien jouée. Surtout on a pleinement vu ce qu’on savait déjà : que M. Boisselot (Desclos père) est un grand comédien, du talent le plus pittoresque et le plus expressif.


JULES LEMAITRE.