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constitutionnels pour avoir tenu un propos que, malgré tout son respect envers le trône et la personne royale, si, par impossible, il eût été tenu, le président du conseil n’eût pu entendre sans protester. »

Les gens qui veulent à tout prix et sur toute chose être les mieux informés ne bornaient pas à si peu l’indiscrétion. Quelqu’un qui le savait de source sûre les en avait avertis : la reine avait besoin de se faire violence pour supporter la rude et lourde main, le ton tranchant, les manières cassantes, l’orgueil, la soberbia, la mauvaise humeur enfin, — la fameuse malumor ! — de M. Canovas, serviteur qui parlait en maître. Cependant Polavieja partit. En quelques mois, il livra plusieurs combats et remporta autant de victoires. La presse, patriote dans tous les camps, les enregistra avec satisfaction, mais tandis que les journaux du ministère, sans les taire ni les rabaisser, ne les exaltaient pourtant point outre mesure, les journaux de l’opposition, au contraire, les grandissaient jusqu’à l’épique, enflaient l’éloge, et faisaient du vainqueur un triomphateur, à ce point (et dans un dessein si prémédité) qu’on eût cru, à les lire, que ce n’était pas les Tagals insurgés que le général venait de battre, mais M. Canovas et son cabinet qu’il venait d’abattre.

Que fut-ce donc, quand, Polavieja ayant demandé à être relevé de son commandement pour cause de santé, plutôt que de s’en rapporter à lui et à ses médecins, on eut le moyen d’ajouter à sa gloire cette suprême consécration : l’ingratitude apparente du pouvoir et, après en avoir fait un triomphateur, quand on put en faire une victime ! Vainement le gouvernement lui décernait la grand’croix pensionnée de San-Fernando : l’opposition, toutes les oppositions, — car ce n’était pas seulement les libéraux, et les dissidens de M. Silvela, les carlistes même, en étaient, — lui donnaient rendez-vous à Barcelone, où elles s’empareraient de lui et, revenant avec lui, donnaient au ministère rendez-vous à Madrid.

Au demeurant, elles disposaient de lui sans lui ; on ignorait encore ce qu’il ferait, s’il ferait rien ; et tout un passé de correction militaire eût du empêcher de penser qu’il fût homme à devenir l’instrument ou l’épée d’un parti politique. S’il y a dans l’armée espagnole un officier qui ne soit pas et qui ne puisse pas devenir un général de pronunciamientos, tout son passé garantit que c’est Polavieja. En cette circonstance même, avant son départ