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depuis le collège sous l’oppression de ces doutes. A quinze ans, il avait vu mourir une jeune femme qui lui avait été bonne et maternelle. Il alla pendant des mois méditer la nuit au cimetière, lui superstitieux, lui qui eut toujours peur dans le noir, sur le mystère que renfermait cette tombe. Une pièce de sa jeunesse, la Dormeuse, indique que la mort lui parut tout d’abord un refuge, dont il souhaita la douceur à ceux qu’il aimait : « Vers minuit, au mois de juin, à la clarté mystique de la lune, une vapeur assoupissante, humide et trouble, s’exhalait du disque d’or, et, coulant doucement, goutte à goutte, sur le sommet tranquille de la montagne, se glissait, lente et harmonieuse, dans les profondeurs sans fin de la vallée. Le romarin se penche sur la tombe ; le lis s’incline indolemment vers l’onde ; s’enveloppant de brouillard, les ruines s’effritent et entrent dans le repos du néant ; le lac semble un Léthé ; il a l’air de vouloir s’endormir et ne jamais se réveiller. Toute Beauté sommeille ! »

Une jeune femme s’est couchée la fenêtre ouverte parmi ces vapeurs malsaines, qui se glissent dans sa chambre et l’enveloppent de leur suaire. Faut-il l’éveiller, l’avertir ? Non. Souhaitons-lui plutôt, nous tous qui l’aimons, de ne jamais rouvrir ses belles paupières aux longs cils : « — Elle dort ! Oh ! puisse son sommeil être plus profond encore ! Puisse le Ciel la prendre en sa garde sacrée ! Que cette chambre se change en une plus sainte, ce lit en une couche plus lugubre. Je supplie Dieu qu’il la fasse dormir pour toujours, tandis que les esprits aux formes incertaines flotteront au-dessus de ses yeux clos !

« Elle dort, mon amour ! Puisse son sommeil être profond aussi bien qu’éternel ! Que les vers du tombeau rampent doucement autour d’elle ! Qu’au loin, dans la forêt vague et vénérable, un sépulcre lui ouvre ses portes… »

Poe n’envisagea pas longtemps la mort avec cette confiance. Elle lui apparut de bonne heure accompagnée d’un cortège de spectres et d’épouvantemens. A force de vivre par la pensée dans les tombeaux, en compagnie des vers et des cercueils, il entendit causer les putréfactions et sut les sensations des déliquescences. Les charniers lui enseignèrent leur métaphysique. Il reçut les confidences des mortes aux belles paupières, chastement drapées dans leur linceul de toile fine, et succomba à la hantise des secrets que lui murmuraient leurs bouches en décomposition. La préoccupation de la mort le tyrannisa au point