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faste extrême, se faisant rendre le même culte dont les rois de Perse étaient honorés, imitant en même temps le cérémonial observé à la table des empereurs, buvant dans des vases d’or enrichis de pierreries dont on disait que Cléopâtre s’était servie. Et aussi elle haranguait les troupes. Elle paraissait alors le casque en tête, vêtue d’une robe de pourpre et souvent le bras nu. Et ici vraiment l’historien subit le charme. Non sans complaisance, il nous la dépeint : son teint a la couleur du plumage de l’aigle ; elle a les yeux noirs et d’une vivacité extraordinaire, une animation divine, une grâce incroyable ; ses dents sont si blanches qu’on les prendrait pour des perles. Vaillante, elle va souvent à cheval et peut faire à pied plusieurs milles avec son infanterie. Puis nous la voyons sagement libérale et usant à propos de sévérité et de clémence. Et enfin l’auteur nous la montre lettrée ; à la vérité ne voulant point parler le latin qu’elle n’ignorait pas, mais, en sus des dialectes araméens, sachant l’égyptien en perfection ; ayant lu l’histoire romaine en grec et écrit un abrégé de l’histoire d’Orient. Quel beau portrait ! Assurément, en le traçant ainsi, Trébellius Pollion cédait à la force des choses. Après avoir déclaré que toute pudeur était bannie des âmes, puisque des femmes pouvaient gouverner la république, il s’inclinait devant la réalité. Il ajoutait même à la louange en citant une lettre adressée par Aurélien au Sénat pour justifier son triomphe. L’empereur y insiste sur les vertus politiques de Zénobie et même sur les services qu’elle a rendus. Ce témoignage est décisif et complète l’héroïne.

Désigné par Claude pour lui succéder, Aurélien fut un de ces princes redoutables qui illustrèrent la fin du haut empire. Certes, Rome avait été bien inspirée dans sa politique, lorsque, poursuivant l’idée d’établir autour d’elle l’unité par le droit et étendant les anciens privilèges latins aux peuples conquis, elle avait fait naître des citoyens romains dans les provinces. Celles-ci lui avaient donné ses meilleurs maîtres et lui fournissaient alors ses plus vaillans défenseurs. Les grands empereurs de la seconde moitié du IIIe siècle n’étaient plus des Espagnols, des Africains ou des Orientaux. C’étaient des Dalmates et des Pannoniens, des hommes que la vieille aristocratie eût appelés des demi-barbares. Élevés dans les camps, ces nouveaux venus apportaient en toutes choses une dureté militaire et mettaient au service de l’Etat un esprit de discipline inflexible qui allait facilement jusqu’à la cruauté. Ayant grandi au milieu des combats et des