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frais généraux toujours plus élevés : c’est à qui, parmi eux, étalera les grilles les plus dorées, les plus beaux marbres ; et le public encourage ce luxe ; il n’irait pas chez un boucher qui lui vendrait sa viande tout simplement. En outre, la concurrence exotique réduit considérablement la vente de ce qu’on appelle le cinquième quartier, c’est-à-dire la graisse, le suif, la peau, les cornes, etc. : beaucoup de nos tanneurs de France achètent leurs-peaux en Amérique. Si bien que l’éleveur doit vendre très bon marché le bétail dont nous achetons la viande très cher, puisque c’est la viande seule pour ainsi dire qui paie le bœuf, la viande seule (ou plutôt les meilleurs quartiers de la viande), qui doit compenser les dépenses, les déchets, les pertes, etc., etc.

Reste enfin la grande objection que nous résumerons comme-il suit : « Les besoins de nos concurrens vont augmenter et avec leurs besoins leurs frais généraux. La lutte ainsi s’égalisera. La masse des consommateurs se développera avec celle de la production ; la proportion restera la même, mais les hommes seront plus heureux. Nous vendrons nos produits à meilleur marché sans doute, mais nous en vendrons davantage. Et puis nous en inventerons d’autres que nous commencerons par vendre très cher jusqu’à ce qu’on les ait imités et ainsi de suite… Les sauvages-en se civilisant prendront nos goûts et nos faiblesses ; les nègres, disait en riant M. Léon Say, répondant à mes inquiétudes, les-nègres d’Afrique voudront bientôt s’habiller comme nous ; une fois habillés comme nous, ils voudront avoir leur photographie… »

Cela est probable et c’est pourquoi l’Europe s’est partagée avec tant de hâte la clientèle de l’Afrique, mais cette clientèle sera-t-elle jamais assez riche, assez laborieuse pour remplacer celles que nous perdons ? Ce n’est pas par hasard, encore une fois, que l’Europe a négligé jusqu’à nos jours le continent noir si voisin, si vaste et si disponible. Et qui nous assure qu’en dépit des tarifs douaniers, les nègres, notre dernière chance, ne se feront pas habiller et photographier par d’autres que par nous ? Quant aux besoins et aux frais généraux de nos concurrens, combien de temps leur faudra-t-il pour égaler les nôtres, et, en attendant l’avènement d’un équilibre aussi éloigné, comment vivrons-nous ? De nos inventions ? Sommes-nous sûrs d’inventer plus que nos rivaux ?

Avec plus de force encore que les argumens, les faits