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de sept ou huit mois pendant lesquels il a tenu le juge d’instruction dans la disette, il a jugé le moment venu de lui faire quelques dénonciations. Oh ! bien maigres, ces dénonciations, et qui n’avaient d’ailleurs rien d’imprévu, car les noms auxquels elles se rapportent avaient déjà été imprimés dans presque tous les journaux. Les révélations d’Arton n’ont eu jusqu’ici qu’un résultat, qui a été de permettre à quelques-uns des suspects de s’expliquer et de prouver leur innocence : d’autres restent en cause. La Chambre ne pouvait faire autrement que de s’occuper de la question, puisqu’elle s’occupe de tout. Le plus simple pourtant, le plus sage, le plus prudent, le plus conforme surtout aux principes généraux de notre droit public aurait été de laisser l’affaire entre les mains de la justice et de se désintéresser de ses conséquences. La Chambre en a bien eu le sentiment. Elle a compris qu’il y aurait de sa part quelque chose de monstrueux à poursuivre une enquête parlementaire à côté de l’instruction judiciaire déjà commencée, et parallèlement à celle-ci. Elle s’est rendu compte de la réserve qui lui était imposée. Aussi a-t-elle décidé, le 29 mars dernier, qu’elle respecterait l’indépendance du pouvoir judiciaire… pendant trois mois, pas davantage. Il faut le dire à sa décharge, elle était convaincue que l’instruction ouverte serait close avant l’expiration de ce délai d’un trimestre, et tout, en effet, le faisait croire ; mais M. Le Poittevin s’est arrangé de telle manière qu’il en a été autrement. L’heure fixée d’avance pour la nomination d’une commission d’enquête a sonné avant que l’instruction judiciaire fût terminée, et la Chambre, esclave de sa propre horloge, n’a pas cru pouvoir se dispenser de s’exécuter. On croirait lire un de ces fabliaux du moyen âge où l’esprit du mal arrive à la minute fatidique et réclame l’accomplissement de la promesse qui lui a été faite, sans tenir compte d’aucune des circonstances extérieures.

Pourquoi ne pas dire qu’il y a eu un peu de niaiserie de la part de la Chambre à se soumettre avec une docilité muette à la décision qu’elle avait prise trois mois auparavant, alors qu’elle montre souvent une si facile désinvolture à se dégager d’autres résolutions non moins solennelles, qu’elle rompt dès qu’elle s’en trouve gênée ? La situation, le 29 juin, était exactement la même que le 29 mars. L’instruction judiciaire était toujours pendante. Il n’y avait aucun bon motif pour faire trois mois plus tard ce qu’on n’avait pas cru pouvoir faire trois mois plus tôt. Pourtant on l’a fait, et la Chambre a tiré d’elle-même, comme un dangereux prolongement de ses pouvoirs, cette commission d’enquête qui l’inquiète aujourd’hui et qui s’efforcera de l’opprimer demain. Espérons qu’elle n’y parviendra pas. L’opinion, nous l’avons dit, est