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vu venir ; en revanche, le Landtag de Prusse a vu déposer devant lui un projet bien différent de celui sur lequel on avait compté.

Pourquoi ce projet, tel qu’il est, a-t-il été présenté au Landtag prussien et non pas au Reichstag allemand ? C’est parce que le Landtag a une majorité sur laquelle on faisait plus de fond pour accepter et pour voter le premier une loi dont l’esprit réactionnaire et policier a causé une surprise et une révolte générales. L’émotion a été très vive dans l’Allemagne tout entière ; elle l’a été même en Prusse. Le projet, en effet, par un de ses articles, autorise bien le groupement des associations politiques, mais, groupées ou non, il les met toutes sous la main de la police qui reste libre de les dissoudre lorsqu’elle les juge dangereuses pour la sûreté de l’État ou pour l’ordre public. Il en est de même des réunions ; elles sont autorisées, certes, mais le commissaire de police pourra les disperser lorsqu’il le jugera à propos. En tout état de cause, il est interdit aux personnes mineures d’y assister. Il suffira donc qu’il y ait dans une réunion publique un jeune homme qui n’aura pas sur lui le moyen de justifier de l’âge de vingt et un ans pour qu’elle soit ou qu’elle puisse être dissoute. Il y avait longtemps qu’une législation aussi draconienne, et surtout aussi arbitraire, n’avait pas été proposée à une assemblée délibérante. Qu’est-il arrivé ? Bien qu’il ne fût pas saisi de la question, le Reichstag allemand s’en est emparé : il a voté une motion qui tend à établir la liberté d’association dans tout l’Empire. Nous disons seulement qu’elle tend à l’établir : comme le vote du Reichstag met en cause la constitution elle-même, il aurait besoin de la consécration du Conseil fédéral, et assurément il ne la recevra pas. On a dit, en conséquence, que le Reichstag avait fait une manifestation purement platonique. Platonique tant qu’on voudra : il n’en reste pas moins une démonstration morale dont il serait difficile de contester la valeur. De son côté, qu’a fait le Landtag prussien, dans lequel le gouvernement avait mis toutes ses préférences ? Il se compose, on le sait, de deux Chambres, celle des députés et celle des seigneurs. La première qui, dans le fond de l’âme, désavoue le projet tout entier, a eu l’insigne faiblesse d’en voter une partie, celle qui interdit aux mineurs de vingt et un ans l’accès des réunions publiques. Ce sont les nationaux-libéraux, les éternels complaisans du gouvernement quel qu’il soit, qui ont fait la majorité. Ils ont cru sans doute que le projet ainsi réduit, ainsi émasculé, n’avait plus d’importance et qu’il perdait tout caractère dangereux. Peu importait au ministère. Une fois voté par la Chambre des députés, le projet devait aller devant la Chambre des seigneurs, et là, le ministère était bien sûr de faire rétablir les articles