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par ses origines, l’évolution industrielle de la Russie est un fait historique qui durera. Déjà, les ministres du tsar, dans leurs rapports à leur jeune maître, se font gloire de ce que la production industrielle de l’empire l’emporte sur sa production agricole[1].

L’industrie a été la favorite du gouvernement impérial ; c’est à elle, à elle seule, que profitent le régime de la protection et les hauts tarifs de douane, obstinément maintenus depuis des années. A l’inverse de ce que nous voyons en France, l’agriculture et, avec elle, les classes agricoles, la noblesse terrienne notamment, ont été, sous ce rapport, sacrifiées aux exigences de l’industrie. Quelque amour que les tsars témoignent, non seulement par des paroles, mais aussi par des actes, à leur « féale » noblesse et à leurs fidèles moujiks, l’autorité impériale, dans sa politique économique, n’a cessé de faire prévaloir les intérêts de l’industrie. C’était, à ses yeux, la meilleure manière de servir la Russie que de faire du vaste empire rural une grande puissance industrielle. Le gouvernement russe y est parvenu ; mais cette transformation, il n’a pu l’accomplir qu’en poussant vers l’usine des milliers de villageois, et en réunissant ainsi, de ses mains, les élémens d’une classe sociale nouvelle. Ron gré, mal gré, en s’ingéniant à devenir un État industriel, la Russie avoué sa population ouvrière à la même vie, aux mêmes conditions d’existence, en un mot à la même évolution sociale que les populations ouvrières de l’occident de l’Europe.

Comme la Russie elle-même et comme l’industrie russe, l’ouvrier moscovite tend, sous cette impulsion, à se moderniser et à s’européaniser. Le principe de la division du travail et la loi économique de la spécialisation des fonctions s’introduisent, peu à peu, dans la vieille Russie, y séparant l’ouvrier du paysan pour faire, des travailleurs de l’industrie et des travailleurs de la terre, deux groupes sociaux distincts.

Ministres ou publicistes, les hommes qui ont poussé la

  1. Ainsi, dans son rapport au tsar Nicolas II, sur le budget de l’année 1897, le ministre des finances, M. Witte, ne craignait pas d’écrire : « La Russie passe, avec rapidité, de la période purement agricole à la période de l’industrie : la valeur annuelle de sa production industrielle dépasse 2 milliards de roubles, tandis que le total général des produits de notre agriculture est de 1 500 millions de roubles. » La valeur du rouble, on le sait, a été fixée par Nicolas II, en 1897, pour la reprise de la circulation métallique, à 2 fr. 66. Il va de soi que nous ne nous portons nullement garant de l’exactitude des évaluations du ministre ; elles montrent seulement, avec l’importance récente prise par l’industrie, la fierté qu’en ressent le gouvernement.