Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autre inconvénient pour l’industrie : les fabriques sont abandonnées, en été, par un grand nombre de leurs ouvriers ; beaucoup d’usines sont obligées de fermer, entièrement, à Pâques ou à l’époque des moissons. Le coûteux outillage moderne rend ces chômages périodiques onéreux. La production industrielle se trouve dans une dépendance étroite de la production agricole. Elle subit le contre-coup des saisons et des crises de la culture. Lorsque la récolte est abondante, que la terre suffit à le nourrir et à payer ses impositions, le paysan, ne sentant pas le stimulant du besoin, reste au village ; la fabrique a peine à recruter des bras, car le moujik, être primitif, ne va guère à l’usine que contraint par la nécessité. La récolte, au contraire, est-elle mauvaise, et le paysan dénué de ressources, la main-d’œuvre afflue aux usines, les salaires des ouvriers s’avilissent ; et c’est aux époques de disette, quand les besoins des paysans sont le plus pressans, que les salaires tombent le plus bas[1].

L’instabilité du travail industriel nuit peut-être plus encore à l’ouvrier qu’au patron et à 1 industrie. Elle est une des causes du bas prix des salaires et du peu de bien-être des ouvriers, les fabricans ne pouvant rémunérer un travail intermittent aussi bien qu’un travail régulier. Les salaires en effet sont, d’habitude, plus élevés en été qu’en hiver ; autrement dit, les ouvriers permanens, ceux qui ne quittent pas la fabrique, sont mieux payés que les ouvriers de passage. En même temps que son salaire s’abaisse, la journée de travail de l’ouvrier temporaire s’allonge, dépassant souvent douze et quatorze heures, atteignant parfois seize, dix-sept, dix-huit heures. L’ouvrier nomade, pressé de trouver de l’ouvrage, sait mal se défendre contre les prétentions parfois abusives des patrons ; la nécessité le plie à subir les conditions de fabricans encore peu initiés aux prescriptions du devoir social.

  1. Ces faits ont été mis en lumière par les travaux de MM. Erisman, Janjoul, Rosenberg, Schulze Gævemitz ; voyez, notamment, une excellente étude de ce dernier, l’Industrie dans la Russie centrale, circulaire du Musée social, avril 1897.