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d’émanciper l’ouvrier paysan, peut paralyser ses forces, mettre un obstacle de plus à son affranchissement économique. Le champ que leur offre le mir n’a, pour eux, toute sa valeur sociale que là où les moujiks ouvriers trouvent du travail sur place, à côté de leur village, dans quelques distilleries du Sud, par exemple, ou bien dans les contrées du Nord où fleurit la petite industrie villageoise. Dans les grandes manufactures urbaines ou suburbaines, au contraire, l’attache au mir est, pour l’ouvrier, plutôt une gène qu’un avantage ; elle s’oppose au perfectionnement de son habileté professionnelle ; elle l’empêche d’améliorer sa situation, comme ouvrier de fabrique ; elle lui interdit de se créer, auprès de l’usine, un foyer et une famille.

Aussi, ne faut-il pas s’étonner si ce lien, vanté des slavophiles, tend à se relâcher, en attendant qu’il se rompe ou se dénoue. L’ouvrier paysan de la grande industrie est un type social archaïque, dont l’existence ne peut se prolonger indéfiniment, en dehors, au moins, des maigres régions du Nord. Pour les grandes villes et pour les grands centres industriels, c’est déjà une sorte d’anachronisme. En Russie, comme en Occident, s’opère, malgré tout, peu à peu, la séparation du travail agricole et du travail manufacturier. L’ouvrier industriel et le paysan du mir, souvent encore confondus dans le même moujik, tendent à se séparer ; l’ouvrier paysan est en train de se dédoubler. Une classe ouvrière nouvelle se forme au sein de la communauté, en attendant qu’elle coupe le cordon qui l’y attache encore.


III

Déjà, pour nombre d’ouvriers, la communauté dont ils sont les membres actifs, le microcosme social qui enferme et soutient leur chétive existence, est bien moins le mir du village que l’artel de l’usine.

A l’usine, comme au village, le moujik se montre peu individualiste ; sa personnalité s’efface volontiers dans la communauté ; il a peur d’être seul, il a besoin de se sentir uni à ses pareils, de faire corps avec eux. La grande famille patriarcale sous l’autorité du père ou de V ancien, les communautés de village sous l’autorité du mir l’ont, d’avance, façonné à la vie commune, partant à l’association. Dès qu’il entreprend un travail, dès qu’il quitte son village surtout, le moujik se groupe en artel. Ainsi, notamment,