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assis comme un Porphyrogénète, le souverain de ce royaume.

« Eclatante partout de perles et de rubis rayonnait la porte du beau palais, par laquelle s’écoulait à flots pressés, toujours étincelante, une troupe d’Echos, dont la douce fonction n’était que de chanter, avec des voix d’une beauté exquise, l’esprit et la sagesse du roi.

« Mais des êtres funestes, en vêtemens sinistres, vinrent donner assaut à la puissance du monarque (Ah ! gémissons ! car l’aube d’aucun lendemain ne luira pour lui, le désespéré) et la splendeur qui rayonnait et s’épanouissait tout autour de son palais n’est plus qu’une légende, un souvenir obscur de l’ancien temps enseveli.

« Et maintenant les voyageurs passant par la vallée n’aperçoivent plus, à travers les fenêtres enflammées de lueurs rouges, que des formes monstrueuses s’agitant de façon fantastique au bruit d’une discordante mélodie, tandis que pareille à un flot rapide et spectral, à travers la porte pâle, une foule hideuse se précipite sans relâche et rit, mais ne sait plus sourire. »


Hideuse, en effet, était la foule de ses pensées. Les ruines s’amoncelaient en lui et autour de lui, dans son corps ravagé et émacié, dans son cerveau plus souvent trouble et lassé, dans sa carrière amoindrie et finalement anéantie, dans son foyer, que les prodiges de la tante Clemm ne sauvaient plus de la famine. Il avait perdu jusqu’aux chimères qui avaient été son refuge et son soutien. Edgar Poe avait toujours rêvé d’avoir un journal à lui, un journal qui serait son bien et sa chose et lui apporterait la fortune avec l’indépendance, et il l’eut un jour, en 1845, par un hasard imprévu, mais ce ne fut que pour voir cette dernière branche de salut se rompre entre ses mains ; son journal ne vécut que deux mois. Enfin, effondrement suprême, Virginie succombait au mal qui la minait. Ses beaux yeux brillaient de fièvre, son teint si pur était d’une pâleur de lis : « Elle n’avait plus l’air de ce monde », dit un témoin. Edgar Poe s’était obstiné longtemps à espérer contre toute espérance. Virginie était son bonheur ; les besoins de Virginie étaient son courage, sa raison de ne pas se laisser abattre. Pour elle, il se forçait à sourire ; pour elle, il devenait expansif et tendre. Au mois de juin 1846, — ils habitaient les environs de New-York, — une circonstance inattendue le contraignit à passer