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BERRYER
D’APRÈS SES DERNIERS HISTORIENS


I

Berryer, ses contemporains le proclament à l’envi, est un des premiers orateurs, peut-être le premier orateur de son siècle : il a tous les dons physiques de l’éloquence, visage noble et épanoui, charme de la voix, geste qui colore, fortifie la parole, et qui, par sa variété animée, est comme une seconde voix. Si son discours manque le plus souvent de pensées originales, de conceptions puissantes, s’il est un magnifique orateur de lieux communs, il a l’action, cette qualité suprême, la riposte rapide, foudroyante : toute sa personne est oratoire, il met la passion dans les chiffres et les chiffres dans la passion. Son aménité, son obligeance lui concilient mille sympathies, le font aussi aimé qu’aimable : « Vous êtes Mirabeau honnête homme », dira celui-ci. — « Vous devez avoir un trésor d’amour caché quelque part », lui écrit Odilon Barrot, étonné que Berryer n’ait pas un ennemi. Mais, par cela même qu’il est l’enfant gâté de la gauche, l’avocat sublime et le ténor de son parti, il crut trop volontiers au pouvoir universel de la parole ; tombant, lui aussi, dans cette méprise si fréquente qui fait qu’on voit les choses à travers soi-même, ses passions, son talent, il se persuadait et répétait trop volontiers que la parole était l’arme des temps nouveaux. Ce fut là une des grandes illusions de Berryer, illusion d’autant plus excusable d’ailleurs que, pendant la plus belle partie de son existence, les hommes d’État de la Restauration, de la monarchie de Juillet paraissaient gouverner à la tribune