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il cite surtout Bossuet[1], qui fut son maître suprême, son auteur de chevet, puis Pascal, Montaigne, Platon, Cicéron, Pasguier, Séguier, Talon, d’Aguesseau ; et à côté des anciens, trois modernes : de Bonald, Chateaubriand, Lamennais. Il sentait à merveille son insuffisance, et répétait modestement : « Vous pourriez me dire instruit si je savais ce que j’ignore en ignorant ce que je sais..., je ne sais ni lire ni écrire. » Voici un extrait de ces notes qui montre du moins quelle haute idée il se fait de la parole, de l’éloquence politique :

« Le monde fut créé par la parole, et cette parole éternelle y retentit encore de toutes parts ; tout dans l’univers a son langage ; la nature entière parie éloquemment à qui sait l’interroger et l’entendre... Ses beautés régulières et ses magnifiques désordres, l’élégance et la hardiesse de ses formes, l’harmonie des couleurs, les splendeurs du jour et les horreurs de la nuit, ont une expression puissante que le génie peut reproduire. Les arts, enfans de l’homme, ont aussi leurs secrets pour exprimer d’éloquentes pensées ; elles se développent sous le ciseau de Phidias ou de Canova, sous les pinceaux de Raphaël ou de Gérard, aux célestes accords d’Haydn, à la suave mélodie de Cimarosa. Le geste de l’homme, son regard, son sourire, les inflexions de sa voix, sont remplis d’éloquence ; il n’est besoin de longs discours pour que sa puissance éclate dans le langage. Ecoutons-le : un cri de d’Assas, les trois mots de La Rochejaquelein, ces belles paroles d’Achille de Harlay sous le poignard des factieux : Mon âme est à Dieu, mon cœur est au roi, mon corps est aux méchans, nous donnent tous les secrets et toutes les grandeurs de l’éloquence. La science parfaite de l’orateur serait donc la connaissance approfondie de toutes les passions, de tous les sentimens, de toutes les impressions, de toutes les influences, de toutes les volontés. Qui pourrait embrasser cette science, qui pourrait en saisir les rapports infinis, aurait seul droit d’en tracer les règles et d’enseigner cet art divin de la parole... » Oui. c’était assurément se faire une noble idée de la parole ! mais aussi, et peut-être une idée un peu creuse.

Cependant la Restauration se précipitait vers les abîmes :

  1. Un ami le surprend un jour plongé dans l’Histoire universelle : « Je vous dérange, vous êtes en famille, observe-t-il. — Comment cela ? — Eh oui ! Bossuet n’est-il pas votre grand-oncle ? — Oh ! mon grand-oncle, en effet, car je ne suis qu’un arrière-petit, et bien petit-neveu. »