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le drame de Juillet, prophétiser de nouvelles tragédies, et sonner le glas de la société, soulevèrent une émotion intense dans les âmes des vainqueurs et des vaincus.

Et cependant le parti de la retraite avait de quoi séduire Berryer : la chute foudroyante de la vieille royauté, l’effondrement des justes espérances qu’il avait dû concevoir, les conseils de ses amis, de son frère et de son père, tous deux libéraux qui disaient des Journées de Juillet : « C’est pour la liberté une victoire de Denain, et Villars c’est le peuple » ; le souci de ses intérêts privés compromis par son désintéressement non moins que par ses dépenses excessives, la fortune de son père engloutie dans une spéculation commerciale, — tout l’invitait à se renfermer dans le barreau, à abandonner l’ombre pour la proie. Attitude d’autant plus légitime qu’au nom même de la foi politique, de l’honneur, de la religion du serment, pairs, députés, magistrats, fonctionnaires donnaient en foule leur démission, que soixante-six élèves de Saint-Cyr refusaient de servir le nouveau régime, « enrichissant de la noblesse de leur sacrifice le trésor moral de la France. » Qu’il dût au contraire, s’il demeurait sur la brèche, supporter mille tribulations, être en butte à la défiance, à la jalousie, traîner toute sa vie le terrible boulet des embarras financiers, il le savait, on le lui prédisait sur tous les tons ; ses intimes répétaient à Mme Berryer : « Votre mari est un fou sublime. » C’est cependant à ce second parti qu’il s’arrêta : faible dans les petits détails de la vie, il voyait clair et se montrait résolu dans les grandes crises : et, ce qui ennoblit encore son dévouement, c’est qu’il ne pouvait prévoir ni les triomphes, ni la popularité, ni la gloire qui en rejailliraient sur sa personne, qu’il était plus fidèle avec le souvenir qu’avec l’espérance, ayant plus de foi dans la nécessité du principe héréditaire que dans sa résurrection, et, vers la fin surtout, aimant la royauté de droit divin comme on aime une belle légende. M. de Pontmartin raconte que dans un salon du faubourg Saint-Germain, un homme d’esprit s’amusa certain soir à développer cette thèse humoristique que la révolution de Juillet n’avait pas été faite pour Louis-Philippe, mais pour Berryer, Louis-Philippe n’y ayant gagné qu’une couronne problématique, des tentatives périodiques d’assassinat, des bordées d’injures, des calomnies, Berryer une situation idéale, celle de roi à l’intérieur, de favori du peuple et des grandes dames. C’était le beau côté de la médaille, mais quel revers !