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y épuiser les restes d’une santé déjà bien atteinte. Ne pouvant intervenir au procès comme avocat, Berryer du moins tenta de l’empêcher, et, dans la séance du 27 septembre, il soutint fortement cette thèse : deux principes sont inséparables l’un de l’autre, l’inviolabilité royale, la responsabilité ministérielle ; la Charte n’ayant pas protégé le roi, on ne pouvait plus l’invoquer contre les ministres. Logique, ce raisonnement l’était sans doute ; juste, on peut en douter. La Chambre ne s’y rendit point ; et d’ailleurs, dans l’état des esprits, elle eût couru le risque d’une nouvelle révolution en l’acceptant, car elle avait à compter, non seulement avec ses propres passions, mais avec celles de la garde nationale et du peuple parisien.

La nature morale de Berryer, son talent, la confiance et l’admiration universelles, le portaient au secours de tous les vaincus de la politique. Et quelle liste que celle de ses cliens de la cour d’assises, des tribunaux, de la Chambre des Pairs ! Le comte de Kergorlay, Chateaubriand, le prince Louis-Napoléon, Ledru-Rollin, Montalembert, Dupanloup, les Montmorency, les d’Orléans, le roi de Naples, le comte de Chambord !... Des gouvernemens et des princes, des ouvriers et des pauvres, des journalistes ! Il eut à se défendre lui-même, lorsque la duchesse de Berry ayant paru en Vendée, au mois de mai 1832, il se rendit auprès d’elle au nom du comité royaliste de Paris, pour la supplier de renoncer à cette équipée absurdement chevaleresque, et de repartir tant que le chemin de la fuite restait ouvert. Il la vit plusieurs fois, lui écrivit les appels les plus pathétiques, l’adjura dans l’intérêt même de la royauté : ce fut en vain. Sa présence à Nantes inquiétait le gouvernement : on crut qu’il était venu pour encourager la princesse à tenter la guerre civile, il fut arrêté, emprisonné près de quatre mois, renvoyé comme complice devant la cour d’assises du Loir-et-Cher.

Un curieux incident avait précédé l’audience. Le procureur général, un de ceux auxquels s’applique le mot vengeur de Tacite : omnia serviliter pro dominatione, vint le voir dans sa prison et lui annonça qu’il soutiendrait l’accusation. « Comment, vous, monsieur le procureur général, reprit Berryer ! ce n’est pas possible ; vous ne viendrez pas ! — Je vous demande pardon ; je viendrai. — Non, vous n’y pensez pas ! — Pourquoi donc ? — Non ; vous n’avez pas oublié que c’est moi qui vous ai fait obtenir votre place de M. de Peyronnet, et que M. Dupont de l’Eure a eu