Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un de ses auditeurs écrivit après cette fête : « Elle m’a produit l’effet d’un rossignol chantant sur un rosier blanc et faisant tomber sur les fleurs une pluie de gouttes de la plus fraîche et de la plus brillante rosée. »

Cette terre d’Augerville qu’il aimait tant, le désordre de ses affaires faillit plusieurs fois l’obliger à la vendre. Son ami M. de Larcy lui demandait comment, avec ses grandes relations financières, il n’avait pas fait de bons placemens : « Tant d’affaires passent devant vous, vous n’auriez qu’à vous baisser. — Oui, mais il faudrait me baisser, » répliqua Berryer. Excellent conseiller pour les autres, il dirige fort médiocrement sa fortune, ne réclame d’autre prix de ses services que la joie de les avoir rendus : un jour par exemple il refusa cinquante mille francs que lui offrait un client sauvé par lui. En outre sa position de chef de parti l’obligeait à une correspondance énorme, à des voyages, l’exposait à mille sollicitations auxquelles il ne sut jamais résister ; il donnait, donnait toujours, sans se soucier du lendemain. Pendant une absence de Berryer, un comité se forme en 1836, sous la présidence du duc de Bellune, avec le patronage du marquis de Dreux-Brézé, des ducs de Fitz-James, de Noailles, de Chateaubriand, d’Hyde de Neuville... pour organiser une souscription, afin de réparer un peu les sacrifices que lui coûtait l’abandon du barreau, et empêcher la vente d’Augerville ; car cette terre vendue, c’était le cens électoral perdu, la privation de l’éligibilité, et cela devenait un événement politique. On rappela le mot de Du Guesclin, prisonnier des Anglais : « Il n’y a pas une femme qui ne file une quenouille pour le rachat de ma rançon. M. Berryer, ajoutait-on, est le Du Guesclin de la tribune. Sa parole nous défend comme l’épée du vieux connétable défendit nos pères. » La souscription n’atteignit pas le chiffre espéré, elle conjura cependant la vente d’Augerville.

Voici venir la campagne des banquets, la Révolution de 1848. Pendant cette tumultueuse séance du 24 février, Berryer écoute, silencieux, les orateurs qui réclament un gouvernement provisoire, il interrompt seulement Ledru-Rollin qui se perd dans des digressions : « Concluez, concluez, nous connaissons l’histoire ! » Lamartine s’approche, l’entretient quelques instans. Quelles paroles échangent-ils ? se demande-t-on. Lamartine lui proposait une place dans le gouvernement provisoire, et Berryer refusait, ne voulant point faire encourir à sa cause de si lourdes responsabilités. Peut-être se rappelle-t-il le mot de son interlocuteur : « Pour