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MÉDECIN DE CAMPAGNE…

resserrée où se profilaient, à droite et à gauche, de longues rangées dormes que le vent avait tordus ; puis le hameau de Cottes-les-Abeilles ; enfin, après une montée assez rude, il déboucha sur un plateau très nu, d’au moins deux kilomètres, où la pluie et le vent faisaient rage. On n’y voyait pas à dix pas. Plusieurs fois le cheval s’égara dans des labours.

— Sapristi ! grognait Valadier, je vais être en retard… Diable ! mais… on dirait que les roues ont du mal à tourner. »

Soudain la voiture s’arrêta net. Jetant les rênes sur la croupe, le médecin sautait à terre et vivement mettait la main au moyeu de droite… il était brûlant !… « Ah bien, merci !… » Il secoua la roue, essaya de la faire tourner, mais elle semblait soudée.

Un moment il resta les bras ballans, hébété. Il en aurait pleuré de se trouver seul, là, loin de tout secours.

Comment faire ? Laisser bête et attelage sur place et s’en aller quêter de l’aide ? Mais le cheval pouvait s’effrayer… Certains, quand ils ont de l’eau dans les oreilles, deviennent ombrageux : celui-ci pouvait filer à travers champs et se jeter dans quelque fondrière.

Aussi Valadier jugea-t-il plus prudent de dételer, et, sa voiture à cul, brancards en l’air, de partira la découverte en tirant le cheval par la bride. À chaque instant, l’animal, sans doute transi, s’arrêtait brusquement pour se secouer de tout son poil. « Allons donc ! » criait Valadier, qui se remettait en marche, une main serrant la bride, l’autre tenant son feutre. Il se sentait les pieds glacés, l’eau y clapotait, une eau qui lui avait d’abord ruisselé tout le long du deo : « Quel métier, grommelait-il, quel sale métier ! »

Enfin, une vague silhouette de masure se dessine. C’est une baraque couverte en chaume. Un peu de fumée montre qu’elle est habitée. Au moment où il attache son cheval à un pommier, de furieux jappemens de roquet éclatent ; des voix d’hommes partent de l’intérieur de la baraque.

En voilà bien d’une autre ! Les gars, — ils sont trois, le père et ses deux garçons, — trouvent comme ça qu’il pleut trop. Tassés sous l’âtre, les coudes sur les genoux, ils entourent un méchant feu de souches de colza. Sur la table, une bouteille d’eau-de-vie de cidre. Ces gens sont à moitié gris…

Le médecin a beau promettre un pourboire, les gars ne se soucient guère d’aller se faire tremper. Cependant quand ils entendent dire que Valadier est attendu chez maître Pierre, le riche