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leur pape, et, né de ces ambitions rivales, le schisme d’Occident déchire la tunique sans couture. Quand la papauté se divise contre elle-même, quand, au lieu d’un chef désigné par toute l’Église, deux et trois compétiteurs, élus chacun par une faction, se disputent la chrétienté, et épuisent à soutenir l’universalité de leur prétention les ressources des pays où ils sont reconnus, les clergés nationaux se détachent à leur tour de l’ancienne obéissance. Puisque la gardienne de l’unité est devenue la grande cause de discorde et de scandale, c’est à l’Église elle-même qu’il appartient de défendre, fût-ce contre son chef, son unité. Les conciles de Constance et de Bâle donnent une voix à cette volonté, réduisent toutes les prérogatives du Saint-Siège sur les Églises nationales, ne reconnaissent d’infaillibilité qu’à l’Église universelle, et transportent aux conciles généraux le gouvernement ecclésiastique. Clergé et prince s’unissent en France, à la fin du schisme d’Occident, et élèvent ensemble en 1438 le premier monument des libertés gallicanes, la Pragmatique sanction de Bourges. Là, une assemblée d’évêques et de docteurs, présidée par Charles VII, déclare que le concile général est supérieur au pape ; que le pape convoquera tous les dix ans le concile général ; que les dignités ecclésiastiques seront, dans le royaume, conférées par l’élection des clercs ; que les biens attachés à ces dignités échapperont aux taxes du Saint-Siège ; que l’appel au Souverain Pontife sera restreint à des cas exceptionnels ; et que les bulles du pape n’auront pas accès dans le royaume sans l’agrément du roi.

Pour imposer et étendre ces prétentions, nos légistes mirent au service de la couronne leur habileté juridique et chicanière : grâce à eux, les « libertés gallicanes » entrèrent dans le droit public de toute l’Europe. Elles n’étaient pas des libertés pour la conscience individuelle ; le pouvoir demeurait catholique et gardait toutes ses rigueurs contre l’incrédulité des sujets. Elles étaient des libertés pour les princes. Et sous le nom d’indépendance, c’est de suprématie qu’il s’agissait. Les rois déclaraient intolérable que le pape, confondant les deux puissances, gouvernât seul, au nom de l’intérêt religieux, la politique : or, eux-mêmes, au nom de l’intérêt politique, faisaient seuls sa place à la religion, et confondaient à leur tour les deux puissances. Sans doute, ils empêchaient ainsi le pape d’envahir l’État, mais qui les empêchait eux-mêmes d’usurper sur l’Église ?