Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/816

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se répare. Il n’y a pas dans la nature, dans les paysages de montagnes, un défilé comparable à celui-là ; pas un aussi radieux passage de l’ombre à la clarté. Il n’y en a pas non plus dans l’ordre de l’esprit ni de l’âme, et c’est un symbole sans pareil de relèvement et de résurrection, que ce scherzo défaillant, brisé, qui se ranime, s’élance et court s’abîmer dans le finale éblouissant.

On ne saurait assez le redire, en chacun des morceaux de la symphonie il n’est pas d’élément ou de force que Beethoven n’ait accrue. L’introduction, la seconde reprise, la coda, ont pris avec lui des proportions extraordinaires. Beethoven ne nous introduit pas de même dans toutes ses symphonies. Il y en a, comme la symphonie en ut. mineur, la symphonie en fa, où il nous jette brusquement. Mais celles qu’il veut préparer, comme il les prépare ! Tantôt (voyez l’Héroïque) il lui suffit de deux accords. Tantôt (c’est le cas de la symphonie Pastorale) il insinue le thème doucement. Le début de la première symphonie est peu de chose. Celui de la symphonie avec chœurs n’est pas à proprement parler une introduction, mais plutôt une période de pressentiment, de trouble et d’inquiétude, d’où jaillit en un terrible unisson le thème formulé enfin. Il n’est d’introduction véritable qu’à la seconde symphonie, à la quatrième, et surtout à la symphonie en la, celle de toutes que Beethoven a le plus magnifiquement annoncée. Au seuil d’aucune autre il ne nous a demandé un tel recueillement, une aussi longue retraite, comme si l’heure était venue de confidences plus que jamais sacrées et de paroles encore inouïes. « Cela commence, par un bref accord de la à plein orchestre, qui distille[1] une mélodieuse phrase de hautbois tour à tour imitée par la clarinette, le cor et le basson. » Oui, cette phrase perle véritablement ; et la métaphore du critique anglais convient à l’introduction tout entière. Rares ou multipliées, précipitées ou lentes, que ce soit d’une chute pesante ou légère, les notes ici tombent goutte à goutte et se suivent non seulement égales mais transparentes. Qu’il est pur, ce mi répété jusqu’à soixante-trois fois, invariable et solitaire ! On ne sait trop d’abord quel accord va refléter la note de cristal et si elle sera tonique ou dominante. Elle se fait dominante enfin, et détermine sans raideur, avec une indolence exquise, la tonalité de celle de toutes

  1. Which lets drop.