Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/819

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

feraient, sur des lèvres humaines, des soupirs montés d’un cœur oppressé. Il n’est pas besoin de spécifier de tels passages ; ils frappent l’auditeur sympathique ; ils attestent, soit dit sans irrévérence, que le grand Beethoven, avec tout son génie, était parfois dominé par ses pensées au point de ne plus trouver un mode d’expression qui les égalât. Et ces traits d’humaine faiblesse ne sont pas les moins précieux à la sympathie affectueuse des amis et des admirateurs du grand poète. »

Beethoven enfin, dans ce premier morceau de la neuvième symphonie, a décrit tout entier l’orbite de sa pensée sonore. Il arrive à la reprise (resumption) du sujet intégral. C’est la coda, cette dernière partie transformée et étendue par lui non moins que l’introduction et le développement. Le thème primitif reparaît, mais non plus tel qu’il s’était présenté pour la première fois. Vague et mystérieux tout à l’heure, à l’unisson et mineur, il se déchaîne maintenant à pleine harmonie, à plein orchestre, et conclut en majeur. La mélodie a rempli son dessein, achevé sa mission, assuré son propre triomphe. Plus d’incertitude ni d’angoisse. Elle se ramasse, se précipite et se déploie. Et cependant, au cours de cette péroraison, Beethoven va trouver à nous dire des choses qu’il n’avait pas dites encore. Il nous confiera je ne sais quels secrets non plus d’impatience et de colère, mais d’amertume et de tristesse, d’une tristesse tendre et presque féminine. Avant de se ressaisir lui-même, avant de finir avec sa noblesse et sa puissance coutumière, il fléchira, ne fût-ce qu’un instant. Et ce sera assez de cet instant de détresse, de cette défaillance passagère, pour voiler d’une ombre, pour faire plus que toute autre plaintive et touchante la coda du premier morceau de la dernière symphonie.

Une heure ne suffirait pas pour commenter la coda du premier allegro de l’Héroïque. « Longue de cent quarante mesures, belle de fraîcheur et d’originalité, elle rejette dans l’ombre tout ce qui avait été fait jusqu’alors. Le début restera l’un des miracles de la musique tout entière. Quel dut être à l’origine, en 1805, l’effet de pages comme celles-là, si aujourd’hui encore, connues et familières, après tout ce que Beethoven a écrit depuis, après tout ce qu’ont écrit les Schubert, les Mendelssohn, les Schumann, les Wagner, les Brahms, elles demeurent extraordinaires de hardiesse et de poésie ! Une telle coda est autre chose que la péroraison indifférente d’un morceau qui aurait