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ses membres soumettaient aux suffrages du peuple, après quoi il adressait la question traditionnelle : « Qui demande la parole ? » À ce moment, entraient en scène les orateurs.


II

On croirait, à lire les auteurs, que quiconque prenait part à l’assemblée pouvait y parler. Légalement, en effet, la tribune était ouverte à tous ; la constitution n’en écartait aucun de ceux qui avaient quelque avis salutaire à développer. Cette égalité rendait les Athéniens très fiers ; leurs écrivains, même leurs poètes, la vantent à l’envi ; elle était, à les entendre, si profondément entrée dans les mœurs, qu’y attenter eût été un crime abominable. « Si quelqu’un, dit Démosthène, osait soutenir devant vous, juges, que ce sont les plus jeunes, ou les plus riches, ou ceux qui ont acquitté les contributions les plus fortes, en un mot, les citoyens d’une classe déterminée, analogue à celles que je viens de nommer, qui doivent parler devant le peuple, vous le condamneriez à mort, j’en ai l’assurance, comme le pire ennemi de la démocratie, et votre sentence serait juste. » Ce sont là de vaines déclamations qu’il ne faut pas prendre à la lettre. En fait, ceux qui abordaient la tribune étaient relativement peu nombreux et formaient une catégorie à part ; c’étaient les plus riches d’entre les Athéniens, ceux à qui leurs grands biens assuraient l’indépendance, aux mains de qui ils mettaient un moyen d’action efficace sous tous les régimes, puissant surtout dans une république, où le pouvoir est une proie que se disputent les partis, et une proie difficile à conquérir et à garder sans le secours de certaines ressources matérielles. De là, dans toutes les démocraties du monde, le rôle nécessaire et l’importance de l’argent. La République de Platon, qui est une chimère, fait seule exception à la règle. L’Athènes de l’histoire s’y conforma toujours. Le gouvernement y avait été, à l’origine, le privilège exclusif de la noblesse, c’est-à-dire d’une caste qui joignait aux, avantages de la fortune le prestige d’un passé souvent légendaire et des plus vénérables traditions. Quand, après Périclès, des hommes nouveaux s’en emparèrent, nous savons, par d’irrécusables témoignages, que ces hommes étaient riches, qu’ils groupaient autour d’eux une immense clientèle et avaient dans la cité un rang considérable. La foule, naturellement éprise d’égalité,