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ne concevait pas, semble-t-il, qu’il en pût être autrement, et Aristophane se fait l’interprète du sentiment populaire quand il prête ces excuses au héros d’une de ses pièces, paysan du Parnès, qui s’improvise orateur pour persuader aux Athéniens de conclure la paix avec Sparte : « Ne vous fâchez pas, spectateurs, si, malgré ma pauvreté, j’entreprends de parler devant vous des affaires de la ville. » Pouvait-on rien attendre d’un misérable ? Seul le discours d’un riche avait du poids ; les politiciens le savaient, et le premier soin de ceux, — car il y en eut, — qui entraient pauvres dans la carrière était de s’enrichir ; on verra tout à l’heure par quel moyen.

Ce qui restreignait encore le nombre des orateurs, c’était le long apprentissage par lequel on devait passer pour en mériter Je nom. Les ignorans comme Démade, ce batelier du Pirée qui dut à sa faconde naturelle et à son esprit de prendre rang parmi les conseillers ordinaires du peuple, furent toujours des exceptions ; il fallait, en général, pour faire figure dans l’assemblée, s’y être préparé longtemps à l’avance. Nous avons peu de lumières sur la façon dont se formait, à Athènes, un homme d’État : voici pourtant ce qu’il est permis d’avancer sur ce point.

Il faut mettre à part les grands propriétaires, ceux qui tenaient au sol par de vieilles attaches, et que l’habitude d’administrer de vastes domaines rendait plus aptes que d’autres à administrer la chose publique. La vie rurale ou provinciale est une excellente école de gouvernement ; non seulement on y apprend à bien conduire ses propres affaires, mais, en s’occupant de celles des autres, on y acquiert une solide expérience. C’est par la gestion des intérêts de la commune ou du département que commencent, chez nous, beaucoup de carrières politiques. Quelque chose d’analogue existait chez les Athéniens. Il y avait dans les campagnes des citoyens que leur genre de vie acheminait naturellement au rôle d’orateur : calculateurs précis et économes, sachant commandera de nombreux esclaves, mêlés de près aux affaires de leur dème, quand ils n’avaient pas eu à les diriger en qualité de démarque, plaideurs exercés, ayant puisé dans la chicane une connaissance profonde du droit, ils ne se trouvaient point dépaysés à la tribune, où ils apportaient, non une artificieuse rhétorique, mais une simple et vigoureuse éloquence d’affaires, nourrie de la pratique des choses et des hommes. Comme ils n’écrivaient pas, ou que rien n’a été conservé de leurs discours, l’histoire littéraire les ignore,