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améliorer par tous les moyens qui seront en son pouvoir le sort des naturels de l’Egypte », enfin, « maintenir, autant qu’il dépendra de lui, une bonne intelligence avec le Grand Seigneur. » Une expédition de 25 000 à 30 000 hommes en Irlande devait jeter l’alarme en Angleterre et empêcher le gouvernement anglais d’agir avec toutes ses forces dans la Méditerranée.

Bonaparte quitta Paris dans la nuit du 3 au 4 mai. Le 10, à Toulon, il adressa à son armée cette proclamation significative : « Vous êtes une des ailes de l’armée d’Angleterre. » Il leva l’ancre le 19. En même temps partait de Paris l’homme, encore obscur, qui devait l’arrêter sur la route des Indes, rompre ses grands desseins et contribuer, sans le vouloir, à le faire revenir en France : Sidney Smith, enlevé le 21 avril, de la prison du Temple par des royalistes déguisés en gendarmes et porteurs d’un faux ordre d’élargissement signé des Directeurs. Sidney Smith était accompagné d’un officier français, Phélypeaux, ancien camarade de Bonaparte à l’école d’artillerie, plein de talens, plein de haine, servant l’Angleterre contre sa patrie par fanatisme royaliste, par impatience de détruire ou d’humilier, en Bonaparte, un rival détesté. Bonaparte annonçait son retour pour le mois d’octobre. « Il est enfin parti ! » s’écria Barras. Départ inutile, à moins que Bonaparte ne pérît en route. Le Directoire, pour s’être délivré d’un général encombrant, n’avait changé ni sa propre politique, ni celle de l’Autriche, de l’Angleterre, de la Prusse, de la Russie ; ni les conditions générales qui menaient la France à la dictature et les peuples conquis à la révolte. Bonaparte attendait le moment où il serait nécessaire ; le Directoire allait tout faire pour hâter ce moment.

Bonaparte a tellement envahi l’histoire de France à partir de 1800 que, de tous côtés, dans l’apologie comme dans le blâme, on est porté à méconnaître les conditions dans lesquelles il est entré dans cette histoire. C’est l’intérêt de cette période confuse et trouble de 1798-1799 de montrer le Directoire à l’œuvre sans contrepoids à l’intérieur, avec une presse muselée, des conseils « épurés », affranchi des grands ambitieux, mais aussi des grands auxiliaires, Hoche et Bonaparte. On va voir, une fois Bonaparte disparu, ce que firent, dans une Europe qui demeura la même, les hommes qui gouvernaient alors la République et qui, si Bonaparte était mort ou avait échoué dans son coup d’État, auraient prétendu la gouverner encore.