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sentiment ou idée, au lieu d’être tout à l’ensemble, se mettre à agir pour son propre compte. Si la dissolution s’accentue, chacun arrive à se diriger surtout au hasard de ses affinités propres sans entrer comme partie subordonnée dans un tout plus grand que lui. Ainsi un élément psychique quelconque peut faire naître successivement divers petits systèmes, des idées fugitives, des sentimens passagers, des illusions légères, sans lien logique qui les rattache. Deux mots qui pour le sens n’ont aucun rapport entre eux, mais dont le son est identique ou même partiellement semblable, peuvent s’unir en se soudant par cette partie qui leur est commune, par cet élément qui leur appartient à tous deux, et manifeste encore ses aptitudes et sa force en suscitant tour à tour les deux composés dont il fait partie. C’est ainsi que nous avons vu, tout à l’heure, des mots divers se succéder, chacun amenant avec lui tout un cortège d’idées et d’images, autour d’une syllabe commune. Et dans ce cas, comme en beaucoup d’autres, les divers composés, reliés seulement par les lois de la psychologie et non par celles de la logique, ne pouvant réussir à s’unir dans un commun système, l’ensemble restait incohérent.

Il faut se méfier des tendances des élémens psychiques. A force d’attention ou d’habitude nous les enrayons, mais nous ne les détruisons pas. Une maladie, un état de fatigue, une simple distraction même, et parfois une cause trop ténue pour être aperçue rompt l’équilibre et leur permet de triompher de nouveau. L’harmonie de l’esprit est chose instable ; ni tous nos désirs n’ont la solidité qu’il faudrait, ni toutes nos idées la cohérence nécessaire. Chez certains peuples, dès que le roi est mort, l’anarchie éclate et, toute règle suspendue, chacun s’abandonne à ses instincts ; de même dans l’esprit, si nos tendances principales s’affaiblissent, ou ne sont pas encore assez fortes, le désordre règne, et chaque élément ne travaille plus que pour lui. Les lapsus linguæ, les erreurs d’audition, les illusions de la vue, les méprises de l’intelligence, les incohérences de la folie, du songe, de la rêverie même n’ont pas d’autre origine. Si la force de l’assonance, que nous étudions ici, ne se manifeste pas plus souvent même dans les états morbides inférieurs ou primitifs de l’esprit, ce n’est pas qu’elle en soit empêchée par la raison, par l’harmonie générale de l’âme : c’est qu’elle est enrayée par d’autres forces élémentaires comme elle. Mais elle reste toujours prête à se manifester dès que l’occasion le permettra, La seule existence de sons