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semblables, de parties identiques dans des mots différens, est une menace continuelle de confusions, de réunions illogiques, de substitutions imprévues. Et les occasions ne sont pas rares. Fréquemment deux sons, que leur ressemblance a associés, se succèdent ou se remplacent en nous à notre étonnement et parfois à notre confusion. Brantôme cite des lapsus linguæ que je n’ose rappeler ici. Mais lorsque, à ce que l’on raconte, dans une assemblée un peu tumultueuse, un législateur novice, entendant crier autour de lui « à l’ordre, à l’ordre », se méprit sur les intentions de ses collègues et se mit à crier de bonne foi « oui, oui, à mort, à mort », il montrait bien le danger des illusions causées par la ressemblance des mots et le jeu intempestif des élémens psychiques.

Comme tous les procédés élémentaires de l’esprit, l’association des mots par assonance n’a rien de très élevé au point de vue psychique. Lorsqu’elle domine, elle caractérise une forme inférieure de l’intelligence. Il n’y a pas en effet de raison pour que les mots appelés par la logique à se réunir se ressemblent très souvent par le son ; et il semble bien que, d’une meulière générale, la fréquence des associations de mots par ressemblance indique plutôt, par elle-même, une sorte de défaut de l’esprit, une légère infirmité qu’il faut surveiller et qui tend à diminuer, dans la vie des races comme dans celle des individus, à mesure que l’esprit se forme, comme elle tend à augmenter lorsqu’il se dissout. En effet, le rapprochement forcé des sens divers d’un même mot ou de mots homonymes n’est pas sans danger pour la logique et pour la raison. D’un autre côté, la tendance qui les produit est une tendance naturelle qu’il ne s’agit, comme toutes les autres, que de savoir utiliser. Outre qu’elle cause un certain plaisir quand elle est satisfaite ; elle peut, de plus, avoir son emploi légitime dans les formes, même les plus hautes, de la vie mentale. Et il est assez intéressant de voir comment l’homme a su, inconsciemment parfois, en tirer parti, soit pour son amusement, soit pour son développement intellectuel, soit pour la satisfaction de son sens esthétique, soit pour le développement de sa conception du monde.

Deux états qui s’opposent et qui se ressemblent, comme l’aurore et le crépuscule, favorisent surtout la naissance spontanée des jeux de mots, des méprises, des calembours. Ce sont l’état primitif et l’état de décadence. L’état primitif nous intéresse le plus,