Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 142.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paralyse. En ce qui concerne la guerre, Athènes subit cette loi inévitable : les orateurs s’y érigèrent en juges des opérations militaires, et des généraux furent punis pour n’avoir pas exécuté tel mouvement proclamé nécessaire par les tacticiens de l’assemblée. Dès lors, il y eut des généraux populaires, qui se conciliaient les politiciens influens en les flattant, en les soudoyant même ; ceux-là trouvaient toujours des voix pour les excuser, et les plus lourdes fautes ne pouvaient entamer leur crédit. On en vit d’autres, moins aimés, se ménager des refuges contre les calomnies et les condamnations qui en étaient la conséquence, par les amitiés qu’ils contractaient avec des satrapes qui les soutenaient dans leurs disgrâces en leur offrant un emploi lucratif de leurs talens. Il y en eut qui firent alliance avec des princes étrangers et entrèrent même dans leur famille ; un poète comique peint les noces barbares d’Iphicrate avec la fille du roi thrace Cotys qui, en même temps qu’il l’avait pris pour gendre, lui avait fait présent d’une de ses villes. Sans doute, il faut faire ici la part d’un certain goût d’indépendance et d’aventures qui apparaît de très bonne heure chez les Athéniens, mais ces appuis cherchés au dehors, ces principautés que les généraux se taillaient dans leurs conquêtes, ou qu’ils recevaient en dot de rois devenus leurs parens, s’expliqueraient mal sans la crainte qu’ils avaient des orateurs, sans les procès, les amendes, les exils, sans tout cet arsenal de menaces et de châtimens que la démocratie. tenait contre eux en réserve et qui leur rendait le service insupportable.


IV

Cette surveillance étroite ne s’appliquait pas seulement aux choses extérieures. Nul pouvoir public n’étant constitué pour signaler les infractions aux lois, c’était aux particuliers de les faire connaître ; ce rôle appartenait surtout aux orateurs, que leur talent de parole semblait spécialement désigner pour le remplir. Ils s’en acquittaient avec une vigilance qui revêtait parfois un grand air de noblesse ; quoi de plus beau, en effet, du moins en apparence, que ce code placé sous la sauvegarde de tous, avec l’obligation imposée à chacun, dans son intérêt même, à la fois de. l’observer et de le défendre ?

La seconde partie de la tâche ne pouvait manquer de séduire