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il reparaît toujours analogue à lui-même. Les concetti, les pointes si recherchées à certaines époques, sont bien souvent des jeux de mots, des alliances de sens divers, groupés autour d’un même son. Shakspeare en fournirait bien des exemples. Racine écrivant : « Brûlé de plus de feux que je n’en allumai » ; Théophile décrivant le poignard qui rougit de s’être souillé du sang de son maître ; Fléchier badinant agréablement sur le curé assassin et débauché qui va dire la messe après un meurtre et ne craint pas « d’offrir le sacrifice innocent après en avoir offert un si sanglant », emploient le même procédé. Toute une partie du « marivaudage » se réduirait à une semblable formule. De nos jours on trouverait une sorte d’équivalent de ces recherches chez quelques auteurs qui provoquent le rire plutôt que le sourire, et s’ingénient, — souvent avec esprit, — à trouver des rapprochemens imprévus et cocasses de sons et de sens, en donnant à la phrase une double portée.

Enfin nous trouvons un autre emploi important et vraiment social de l’assonance dans les proverbes populaires. La sagesse générale et moyenne s’exprime ainsi et s’impose par des séries de formules où le rapprochement des sons analogues augmente la facilité de conservation dans l’esprit, plaît à l’oreille, comme exerçant une faculté normale et frappe l’esprit plus facilement, car la même raison qui fait conserver plus longtemps dans l’esprit la phrase assonancée lui permet d’y entrer plus vite. L’assonance cause même parfois une sorte de satisfaction naïve qui dispose bien l’esprit et le porte à accepter comme vrai le sens qu’on lui présente. En imposant le mot, elle tend à imposer l’idée, à la faire persister et, par suite, passer pour satisfaisante. Tel homme se laissera difficilement ébranler par un raisonnement qui ne résistera pas à un proverbe assonance ; et, sans doute, l’autorité des générations passées dont l’esprit se transmet par le proverbe a son prestige par elle-même, mais l’assonance lui vient puissamment en aide et possède aussi son influence propre. On peut, certes, opposer la raison à la rime ; toutefois la rime est une véritable raison, — et souvent une mauvaise raison, — donnée à l’esprit qui s’en contente trop sans bien la comprendre, et sûrement les vers lui doivent une bonne part de leur pouvoir persuasif. Au reste, une idée fausse que l’on distingue aisément et que l’on retient bien a souvent plus de chances de se faire accepter qu’une idée juste et pénible à concevoir.