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confusion, assez analogue aux précédentes, de sens divers associés à un même son. Ainsi la fable des Hespérides est la même que celle de la Toison d’or, le double sens d’un mot qui peut désigner une chèvre ou une pomme ayant causé la méprise. De même pour Augias, « c’est, dit M. Bréal, un surnom du soleil ; si nous voulons savoir ce qu’il faut entendre par ses écuries, il faut nous rappeler le double sens du mot go qui, dans la langue védique, désigne à la fois la vache et le nuage, et par suite la double signification de gotra, qui marque à la fois dans les védas l’écurie et le ciel.[1] »

Bien que l’on paraisse fort enclin, depuis quelques années, à rajeunir le Rig-Véda, on y retrouve bien, semble-t-il, les marques de l’état de l’intelligence et du langage qui favorise la formation des mythes. M. Regnaud, qui a fait une fort intéressante étude sur les jeux de mots védiques[2], signale cette liaison trompeuse des sens divers que peut prendre un même mot et qui ne sont pas encore nettement différenciés les uns des autres. Il retrouve même dans le Rig-Véda les traces très visibles d’une période de transition entre la période des métaphores latentes et celle de la fixation ou de l’individualisation plus ou moins complète du sens des mots.

Les causes de confusion que nous avons vues agir sur le langage ont eu le même effet sur la religion. Certaines de ces causes sont de tous les temps. L’étymologie populaire a modifié les noms de dieux comme elle a transformé les noms de lieu ou des mots usuels quelconques. Mais ce qui nous intéresse ici tout particulièrement, c’est qu’elle a, par une action corrélative, modifié l’idée qu’on se faisait des dieux. Les exemples de ces transformations ne sont pas rares. M. Gaidoz étudiait dernièrement ceux que fournissent les transformations très plausibles d’où sont sortis Dis Pater et Œre Cura. Œre Cura est dérivée très probablement de Hera Curia, la déesse grecque. Quant à Dis Pater, il serait venu de Dies pater, Dies piter, un doublet de Jupiter, et se confondit avec Pluton à cause de l’analogie de Dis ou Dies avec Dives et avec Pluton, que, quelle qu’en soit l’étymologie vraie, on expliquait par πλοῦτος, richesse. Et M. Gaidoz affirme d’une manière générale que l’étymologie populaire joue un rôle considérable dans le développement et la vogue des cultes. « Nous n’avons qu’à voir,

  1. Mélanges de mythologie et de linguistique. Hercule et Cacus.
  2. Revue de l’histoire des religions, XVI, 166-169.