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de Victor Cousin et montra l’importance qu’elles prenaient dans sa philosophie. Schopenhauer, je le crains bien, malgré les quelques précautions qu’il a prises, n’a pas toujours conservé bien rigoureusement au mot volonté le sens très spécial qu’il lui avait attaché. Ajouterai-je que, s’il le lui avait maintenu, son système, plus exact, serait peut-être moins intéressant[1] ? Auguste Comte, par les applications de la méthode subjective à l’organisation d’un fétichisme nouveau, éleva en quelque sorte la méprise consciente et la confusion voulue à la hauteur d’une méthode. Et cependant il me semble qu’on n’a pas rendu pleine justice à cette partie de son puissant système. Il est tout à fait ordinaire que dans une série de raisonnemens abstraits un groupe d’idées se substitue à un autre de manière à former une discordance qui passe inaperçue. Et même les analystes qui relèvent avec soin et subtilité les erreurs des autres, ne se montrent pas toujours sans défaut.

Si le rébus a pu avoir son utilité dans le développement de l’écriture, peut-être penserait-on volontiers que la confusion ne saurait jamais aider l’évolution de la pensée. Je crois que cette opinion serait une erreur. Il est bon que la signification d’un mot reste, dans de certaines limites, diverse, variable et quelque peu flottante. Peut-être ai-je moi-même besoin qu’il en soit ainsi, car, dans ce travail, j’ai réuni sous le nom de calembour ou de jeu de mots des choses qui diffèrent entre elles notablement. Et certes je n’en méconnais pas la diversité, mais ces choses ont cependant en commun un caractère très important et le mot par lequel ou les désigne également toutes permet, en parlant d’elles, de rappeler constamment ce caractère. Bien souvent, les rapports des choses nous échapperaient sans la ressemblance ou l’identité des mots. Je sais bien tous les inconvéniens que peuvent avoir l’impropriété des termes et le manque de rigueur du langage. D’innombrables bévues en résultent. Mais les erreurs mêmes peuvent être utiles sans qu’on les remarque, et, d’autres fois, en les relevant, nous pouvons en tirer parti. Dans le développement ou l’application des idées morales le rôle de la confusion du sens des termes est bien remarquable. Que de mauvaises actions ont été commises parce qu’elles pouvaient prendre un nom respectable et bénéficier, aux yeux mêmes de l’auteur, de ce mérite usurpé !

  1. Voir à le sujet, dans cette Revue, 1886, t. V, l’étude de M. Brunetière sur la Philosophie de Schopenhauer.