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liberté, cette mimique excessive, cette participation de tous les membres et de tous les muscles à l’action oratoire, ainsi transformée en une image du pugilat. Quand le désordre était à son comble, qu’orateur et auditeurs allaient on venir aux mains, les archers intervenaient et arrachai ont de la tribune, malgré ses protestations, l’auteur du scandale. Plus tard, ce furent les citoyens eux-mêmes qui firent la police dans les assemblées ; chaque tribu à tour de rôle était chargée de ce soin, mais on ne voit pas que les mœurs en soient devenues meilleures, ni que ce changement ait amené plus de dignité dans les débats.

Nous voilà loin de la réserve que commandait la loi, de l’eucosmie dont Eschine fait un si bel éloge, et sur laquelle aime à s’étendre sa facilité légèrement déclamatoire. Mais il suffit que les Athéniens aient souhaité cette décence, qu’un moment ils l’aient proclamée nécessaire, pour que nous leur prêtions un sentiment élevé du rôle de l’orateur. Jamais ils ne perdirent complètement de vue l’idéal qu’ils s’en étaient formé ; aux époques les plus troubles de leur histoire, on est surpris de voir observer chez eux certains règlemens sur la parole publique, qui subsistent au milieu de la confusion universelle et de la violation de la plupart des vieilles coutumes. Ils se souvenaient, dans tous les cas, devant les abus dont l’assemblée était le théâtre, qu’ils s’étaient fait jadis une autre idée du politique, et il est intéressant de noter cette survivance de leur ancien respect pour l’éloquence et pour la noble fonction qu’ils lui assignaient dans l’Etat.


VI

À ce respect était venue s’ajouter de bonne heure une véritable crainte. Il est impossible de fixer l’époque où cette disposition commence à apparaître ; ce qu’il y a de sûr, c’est que, vers la fin du Ve siècle, elle est à peu près générale : elle a pour origine l’influence profonde et décisive exercée sur l’esprit athénien par les sophistes.

On a souvent rappelé la rapidité extraordinaire avec laquelle se sont accomplies, à Athènes, les diverses transformations de la littérature et de l’art. Moins de trente années séparent la Médée d’Euripide de l’Orestie d’Eschyle ; et pourtant, quelle distance entre les deux œuvres ! La sculpture de Phidias ne ressemble que de loin à celle qui florissait en Attique avant la seconde invasion